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Est-il donc impossible que les puissances s’assemblent dans un sentiment de cordialité et de sacrifice ? La diplomatie a dénoué des situations plus compliquées. Elle a des ressources redoutables ; on l’a vu au congrès de Berlin, qui a été le triomphe de l’égoïsme et de la cupidité, mais elle en possède de précieuses, et elle réparerait ses torts en entrant dans des transactions destinées à rétablir l’harmonie sur le continent, à asseoir l’équilibre européen sur des bases équitables, en apaisant des regrets légitimes et d’indestructibles espérances. N’est-ce qu’un rêve ? Qui nous reprochera de le former !


Ces pages étaient écrites quand, soudain, est survenue la chute de M. Crispi. La retraite du ministre italien est-elle plus volontaire que celle du grand chancelier ? Elle ne l’est ni plus ni moins, mais par d’autres causes. M. de Bismarck était trop puissant pour un jeune souverain fier de la gloire de ses aïeux, passionnément épris des traditions de sa maison. L’un des deux devait consentir à la mutilation de son autorité ou abdiquer. Le maître revendiquant le plein exercice de tous ses droits, le serviteur s’est incliné ; il s’est démis de toutes ses fonctions. M. Crispi se démet, à son tour, du rôle qu’il avait assumé. Ce n’est certes pas la couronne qui lui a imposé cette détermination. Il n’existait aucun dissentiment entre le président du conseil et le souverain. Il est à remarquer, d’autre part, qu’au moment où M. de Bismarck est descendu du pouvoir, rien, dans la situation intérieure ou extérieure de l’empire, ne l’exigeait. Comme son prestige, son crédit en Europe était immense : il possédait, en outre, l’entière confiance de l’Allemagne. En toute occasion, il s’était employé à convaincre les cabinets et l’opinion publique de son amour de la paix, de sa ferme résolution de la maintenir. On a vu en quels termes retentissans il l’a affirmé dans le dernier discours qu’il a prononcé au Reichstag. M. Crispi était-il en si belle posture ? Sa politique reposait sur un prétendu danger qui, menaçant les frontières du royaume, imposait au gouvernement le devoir de se mettre en mesure de le conjurer. L’accession de l’Italie à la triple alliance, disait-il, n’a jamais eu un autre objet. Il justifiait ainsi les armemens auxquels il consacrait toutes les ressources de son pays, sans crainte de l’obérer. Le danger était cependant imaginaire. Personne ne pouvait en être plus convaincu que lui-même. Nourrissait-il, en les déguisant, de hautes et coupables ambitions ? Rêvait-il, pour l’Italie, le premier rang parmi les nations latines ? Y a-t-il été encouragé dans les entretiens confidentiels de Friedrichsruhe ? Il nous le dira peut-être lui-même un