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Allemagne en voyant la France réparer rapidement les ruines de la guerre, on ne crut pas opportun, pendant les premières années qui suivirent le rétablissement de la paix, d’augmenter les forces militaires du nouvel empire. Cette nécessité est née de la politique inaugurée par M. de Bismarck au congrès de Berlin, et c’est à l’Allemagne que revient la responsabilité de l’état actuel des choses en Europe. Il ne saurait être imputé à la France.

Quel est cet état et où conduit-il ? Nous n’avons pas à raconter les arméniens de l’Allemagne. Le Reichstag en a assez souvent retenti. Chacun sait d’ailleurs qu’on a formé de nouveaux corps d’armée, qu’on a plusieurs fois renforcé les troupes groupées en Alsace-Lorraine. La dernière campagne parlementaire de M. de Bismarck, après bien d’autres, eut pour objet le septennat et une augmentation de 40,000 hommes pour l’armée active. Son successeur a livré sa première bataille pour obtenir du parlement des crédits extraordinaires imputables au ministère de la guerre. On annonce que M. de Caprivi en sollicitera de nouveaux dans la prochaine session. L’empire austro-hongrois a fait de son mieux pour étendre et consolider sa puissance militaire. L’Italie a rivalisé d’ardeur avec ses alliés. Nous avons vu en quelle pénurie elle a mis ses finances ; son gouvernement, cependant, ne semble nullement disposé à modérer son désir de les imiter. On fera peut-être quelques économies sur les travaux publics, sur les dépenses fructueuses et utiles à la richesse du pays ; on ne réduira pas sensiblement les allocations demandées par les ministres de la guerre et de la marine[1]. Comme une calamité épidémique, cette fièvre ruineuse a gagné tous les états de l’Europe, grands et petits. L’Angleterre elle-même a décidé de consacrer 500 millions au développement de sa puissance maritime.

Quand s’arrêtera-t-on dans cette voie ? Rien ne permet de le prévoir. Peut-on espérer qu’il viendra un moment où un désarmement conventionnel s’imposera, par la force des choses, à toutes les puissances ? « Chimère, répondait naguère M. de Bismarck à l’un de ses visiteurs, on se méfiera, on n’aura jamais confiance dans la loyauté de son voisin. Qu’on stipule un contrôle, et voilà le casus belli perpétuellement trouvé. » L’Europe est donc vouée aux grandes armées toujours plus nombreuses, plus onéreuses pour les contribuables, plus funestes à l’industrie et à

  1. La nouvelle loi sur le recrutement, si elle est votée, ajoutera 150,000 hommes à l’armée active, 200,000 à la milice mobile, 300,000 à l’année territoriale, soit 650,000 hommes qu’il faudra pourvoir de l’armement et de l’équipement nécessaires, ce qui exigera une dépense de 150 millions sans compter les approvisionnemens proportionnels.