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nous aimons à croire qu’il a exprimé sa pensée tout entière. Nous sommes également persuadés que son successeur, fidèle interprète des intentions de son souverain, se consacre à la même politique. L’ambition de l’Allemagne n’est-elle pas amplement satisfaite ? Quel intérêt pourrait l’entraîner dans de nouveaux conflits ? Au point où en sont les choses aujourd’hui, qui oserait s’en remettre aux caprices de la fortune ? La guerre n’est-elle pas aussi redoutable pour les peuples auxquels elle a donné la victoire, que pour ceux qui ont subi la défaite ? Assurément ce n’est pas l’Autriche qui voudrait courir de si périlleuses aventures. Quant à l’Italie, nous avons dit ce que nous pensons de ses intentions, et ce n’est pas nous qui lui attribuons des velléités inavouables ; ce sont les adversaires, de gauche et de droite, de M. Crispi qui lui prêtent « des desseins belliqueux dont la chute du grand chancelier a rompu la trame[1]. »

C’est donc la paix qu’on veut ; nous n’y contredisons pas. Mais on veut une paix armée, avec des charges qui irritent et écrasent les populations, et on en rejette la responsabilité sur qui ? Sur la France. Qu’a-t-on dit ? La France arme, elle nourrit la pensée de la revanche ; elle nous contraint à redoubler nos efforts pour conserver notre supériorité et rester en mesure de repousser une agression. Dérisoire façon de rendre hommage à la vérité. Au sortir de la dernière guerre, il ne restait à la France que les débris de ses armées ; elle était dépourvue d’armes et d’approvisionnemens ; le vainqueur avait tout emporté, outre les milliards. Elle se mit courageusement à l’œuvre pour tout reconstituer, comme l’exigeaient le soin de sa défense, le sentiment de sa grandeur, l’ambition légitime de reprendre son rang parmi les grandes puissances. Elle a entrepris cette immense tâche sans forfanterie, dans le silence de son deuil, en s’imposant, sans marchander, les lourds sacrifices qu’elle comportait. Elle n’a pas commis d’autre crime, qui oserait l’en blâmer ? Devait-elle à ses ennemis de la veille de rester à leur merci, et s’en remettre, pour ses destinées futures, à leur générosité éprouvée ? Si déçu qu’on fût en

  1. Au congrès des radicaux présidé par le comte Pauciani. D’autre part, on lit dans l’Italia, œuvre d’un conservateur : « Il fallait au sombre génie qui dirige la politique allemande que l’Italie fît mieux que de se ruiner (dans ses finances publiques ; il lui fallait qu’elle se sentît aussi ruinée dans sa fortune privée et que, per fas et nefas, elle pût attribuer cette ruine à une puissance voisine avec laquelle, dans l’intérêt militaire de l’Allemagne, il voulait la voir à tout jamais et mortellement brouillée.
    « Et il a trouvé, pour cette œuvre abominable, un ministre italien, voué à ses ténébreux vouloirs, un ministre dont il a surexcité la vanité personnelle au point de l’aveugler complètement, en lui faisant consommer la rupture de relations commerciales qui étaient la source du bien-être de plusieurs millions de familles italiennes. »