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souverain de l’Europe, et il eut la discourtoise ingratitude de ne pas même prononcer le nom de son allié dans le discours qu’il lut le 5 août suivant au parlement prussien. » Le roi n’eut pas plus de déférence pour le souverain de l’Italie que M. de Bismarck n’en avait témoigné à son ambassadeur. La France en a-t-elle jamais usé de la sorte avec son allié de 1859 ? Elle a pris soin de ses propres intérêts dans le nord de l’Afrique, elle a défendu ceux de son commerce et de son industrie ; elle n’a jamais manqué à la foi jurée. Elle s’est unie à l’Italie pour l’aider à secouer le joug de la domination étrangère. A-t-elle jamais eu la pensée de s’allier contre elle à une autre puissance ?

Le traité de la triple alliance sera-t-il plus loyalement exécuté ? Nous laissons aux Italiens le soin de répondre à cette question. S’ils tiennent compte des enseignemens de l’histoire, si le passé sert à éclairer l’avenir, ils reconnaîtront, avec nous, que les vœux leur sont, à cet égard, plus permis que les espérances. Dans tous les cas, si la guerre éclate et qu’elle soit heureuse pour les alliés, l’Allemagne, ils auraient grand tort d’en douter, se ferait la part du lion. La mer Adriatique deviendrait certainement un lac germanique. La Grande-Bretagne, qu’on ne prend jamais au dépourvu, elle l’a encore prouvé au congrès de Berlin, ferait de la Méditerranée un lac anglais. Quels que soient les avantages qu’on attribuerait à l’Italie, ils ne compenseraient pas ceux que se distribueraient ses copartageans, les bénéfices devant être proportionnés, dira-t-on, à l’importance des forces déployées par chacun d’entre eux. M. Crispi a parlé de Campo-Formio ; que ne songe-t-il aux traités de Vienne ! Ils sont d’une date plus récente ; l’Italie y fut envisagée comme une expression géographique et mise en lambeaux, afin d’en disposer plus à l’aise. C’est à Berlin qu’on se réunirait cette fois, et l’esprit de domination y présiderait, plus énergiquement encore qu’en 1815, aux délibérations de ce nouveau congrès. L’Italie en sortirait agrandie peut-être, mais relativement diminuée, sans contrepoids pour se défendre contre le colosse qu’elle aurait contribué à élever au centre de l’Europe, sans la France, réduite à l’impuissance, qui lui a cependant souri dans la bonne comme dans la mauvaise fortune. Si le sort des armes trahissait les alliés, l’Allemagne battue aurait-elle, pour l’Italie, plus d’égards que la Prusse victorieuse lui en a témoignés à Nikolsbourg ? Ne la sacrifierait-elle pas volontiers, et avec