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l’intégrité de son territoire, y compris Trieste et le Trentin ? Ah ! si les Silvio Pellico, si les Confalonieri et tous les martyrs qui ont laissé leurs os dans les cachots du Spielberg, si les Cavour et tous les illustres initiateurs de la délivrance de l’Italie, pouvaient sortir de leur tombe, avec quelle indignation ils flétriraient une politique qui a ressoudé la chaîne des temps malheureux !

Mais si les deux argumens, les seuls qu’on a invoqués jusqu’à présent, ne supportent pas la discussion, si l’Italie n’a rien à redouter de la France, si l’isolement avec ses prétendus dangers est un sophisme plus captieux que diplomatique, quels avantages le gouvernement italien a-t-il eus et a-t-il encore en vue ? S’est-il allié aux puissans pour prendre part à la curée ? M. Crispi proteste contre une aussi injurieuse imputation. Le traité stipule cependant des devoirs, impose des charges. Quelles en seront les compensations, et est-il bien certain de les obtenir ?

En 1866, à l’aide d’expédiens analogues à ceux qu’il a employés pour prendre l’Italie dans son filet diplomatique, M. de Bismarck signait, avec les états de l’Allemagne du Sud, des traités d’alliance défensive, impliquant, par conséquent, au premier chef, la garantie que leur indépendance souveraine ne souffrirait aucune atteinte. Quatre ans après, à Versailles, les princes de ces états, qui avaient pourtant, comme ils s’y étaient engagés, fidèlement mis leurs armées à la disposition du roi de Prusse, prenaient rang parmi les vassaux de ce même souverain, acclamé empereur d’Allemagne. Nous n’entendons pas, en rappelant ce fait historique et indéniable, dire que tel sera le sort du roi d’Italie. Il est absolument loin de notre pensée de lui faire une si grave offense. Nous voulons seulement montrer, par un exemple frappant, ce que deviennent les engagemens les plus solennels entre deux puissances de force inégale, et combien il est imprudent, pour le plus faible, de s’allier au plus fort. S’ils voulaient se souvenir des bons comme des mauvais procédés, les Italiens pourraient eux-mêmes nous l’apprendre. L’un d’entre eux, un lucide et prévoyant patriote celui-là, leur remontrait, l’an dernier, dans une publication dont ils devraient faire leur bréviaire national[1], avec quel souci ils devraient se défier de la Prusse. Ils y verraient que le roi Guillaume a été, de tous les souverains de l’Europe, le dernier à reconnaître le nouveau royaume, qu’il s’y est déterminé sur les instances de la France et pour ne pas se séparer de l’empereur de Russie ; ils y verraient que le cabinet de Berlin a pris, dans

  1. L’Italia, attribuée à M. Visconti-Venosta, qui cependant n’en a pas confessé la paternité, que nous sachions.