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Assurément, ces sentimens regrettables, dont les hommes d’état devraient toujours se défendre, ont joué un rôle lamentable dans les luttes qui, de nos jours, ont ensanglanté l’Europe. Mais en ce moment la Russie ne s’en inspirait nullement, il faut le reconnaître. Elle avait d’autres vues, d’autres préoccupations, qui lui étaient imposées par les agrandissemens de la Prusse, par l’intention bien arrêtée du cabinet de Berlin de ne lui faciliter aucune compensation, de ne lui donner aucune garantie. M. de Bismarck n’en ressentit pas moins profondément la dénonciation dont il avait été l’objet. Son cœur n’a jamais été accessible à la rémission des offenses ; le génie lui-même paie son tribut à la faiblesse humaine, on l’a vu dans le procès du comte d’Arnim, dans celui fait au docteur Geffken ; on l’a vu surtout plus clairement depuis qu’il a perdu le pouvoir, et on a pu en juger à la vivacité et à l’intempérance de son langage, fait pour surprendre ses propres adversaires et affliger ses plus enthousiastes admirateurs. En 1875, son irritation se conciliait-elle avec les exigences de sa tâche ? Était-il utile, opportun de rompre avec la Russie ? On ne saurait encore l’affirmer à l’heure présente. Ce qui est certain, c’est qu’il se montra sensible à la blessure faite à son orgueil, et qu’il résolut de rechercher des amitiés ailleurs. Répudiant le long passé pendant lequel ils avaient conspiré ensemble, les deux chanceliers en vinrent ainsi à briser les liens qui les avaient unis, et nous les retrouverons désormais en état de constante hostilité. A dater de cet incident, en effet, la Prusse modifia sa politique, poursuivit des combinaisons nouvelles, et, après de longs efforts, parvint à fonder la triple alliance. La pensée de cet accord a germé, en 1875, dans l’esprit de M. de Bismarck. La réalisation en était difficile ; sous le poids de ses désastres, l’Autriche se montrait rebelle aux doucereuses suggestions de son vainqueur. Les résistances qu’on lui opposait à Vienne ne détournèrent pas M. de Bismarck du but qu’il s’était proposé ; il attendit et il trouva le moyen de les surmonter. Voyons comment il procéda.


V

Dans le cours de cette même année, une insurrection éclata en Herzégovine. Ce mouvement s’étendit bientôt à la Bosnie pour se propager ensuite en Bulgarie. On a prétendu que ces troubles avaient été soutenus, sinon provoqués par la caisse des reptiles : rien ne nous l’a démontré, et nous ne mentionnons ce bruit que