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avait tout intérêt à le décliner en 1866. Le péril cependant était pressant. L’Autriche avait été terrassée, mais elle pouvait encore offrir à des alliés un puissant contingent formé des vainqueurs de Custozza. La France, inquiète et troublée, se montrait exigeante. Si la Russie désabusée devenait hostile, la Prusse pouvait se trouver en présence d’une coalition formidable ; elle pouvait être tenue, dans tous les cas, de comparaître devant une réunion des puissances qui auraient mis à ses prétentions les limites commandées par leur sécurité respective. Que fit le cabinet de Berlin pour conjurer de si graves difficultés ? Il entreprit de prévenir l’entente des puissances, et pendant que, pour gagner du temps, M. de Bismarck négociait dilatoirement avec la France, comme il l’a dit, on usa de tous les moyens pour désarmer la Russie, pour ressaisir sa bienveillance, et consolider des relations qui menaçaient de se rompre. La Russie reconquise, la Prusse, pensait-on, n’avait plus aucune compétition à redouter.

On envoya à Saint-Pétersbourg l’homme des missions confidentielles, le général de Manteuffel. Esprit délié et insinuant, caractère sympathique et correct, ce piétiste cuirassé n’avait jamais dérogé. Sans les désavouer publiquement, il n’avait, en aucune occasion, pactisé avec les procédés usités par le cabinet de Berlin depuis que M. de Bismarck le présidait. Sa droiture en avait même fait le rival du premier ministre. Il avait mérité et conquis la confiance de son souverain et l’estime de l’empereur Alexandre, qu’il avait eu souvent l’occasion d’approcher. On n’aurait pu choisir un agent mieux préparé et en meilleure situation pour séduire et apaiser la cour de Russie. Si peu enclin qu’il ait toujours été à maîtriser ses animosités personnelles, M. de Bismarck le désigna lui-même au roi pour cette tâche si délicate et d’un si haut intérêt. Déposant son commandement d’une armée en campagne pour reprendre son rôle de diplomate, M. de Manteuffel partit donc muni d’une lettre autographe du roi et des instructions du président du conseil.

On sait qu’il s’en acquitta à l’entière satisfaction de son maître. Il n’était pas encore de retour à Berlin que la Russie en effet renonçait à sa proposition de réunir les puissances au congrès, et la diplomatie constatait que les rapports des deux cours avaient repris leur caractère de parfaite intimité. On remarqua notamment que le représentant du tsar à Berlin, alarmé par les succès des années prussiennes, fut soudainement mandé à Saint-Pétersbourg, et qu’il en revint totalement rassuré, affectant une tranquillité que n’ont troublée, depuis lors, ni les revers des princes allemands alliés à la maison de Russie, ni le développement que la Prusse,