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à l’autonomie des duchés qui avait été, dès l’origine, le point capital du débat entre le gouvernement danois et l’Allemagne, les deux puissances contraignirent le roi Christian IX, en menaçant le Jutland, à leur faire l’abandon de ses droits sur le Holstein et le Schleswig. Elles le dépouillèrent.

La souveraineté indivise de ces territoires et leur occupation simultanée par les troupes des deux acquéreurs dérangeaient les calculs de M. de Bismarck. En 1865, il fit agréer ou plutôt il imposa au cabinet de Vienne un arrangement qui fut conclu et signé à Gastein, en vertu duquel chacune des puissances administrerait séparément un des duchés sans préjudice de leurs droits souverains et respectifs sur la totalité des pays conquis. Cet accord fut sévèrement jugé à Londres et à Paris. « Sur quels principes, disait M. Drouyn de Lhuys, dans une circulaire rendue publique, repose donc la combinaison austro-prussienne ? Nous regrettons de n’y trouver d’autre fondement que la force, d’autre justification que la convenance réciproque des deux copartageans. » Le prince Gortchakof s’abstint de toute manifestation. Ce silence du cabinet de Saint-Pétersbourg était significatif. La France et l’Angleterre avaient assurément un intérêt évident au maintien de l’intégrité du royaume danois, mais celui de la Russie était d’un ordre supérieur ; il se liait directement à la sécurité de l’empire, et elle regrette sans doute aujourd’hui d’en avoir fait le sacrifice, d’avoir livré le port de Kiel à l’Allemagne.

Nous nous sommes arrêté, un peu longuement peut-être, sur ce premier exploit de la politique prussienne. Mais il fut le premier anneau de la chaîne qui riva la Russie à la Prusse jusqu’au moment où elle se brisa, où les amis devinrent des adversaires, si bien que M. de Bismarck imagina la triple alliance qui est l’objet de notre étude. Il importait donc, pour déduire les effets de leurs causes, de rappeler, en les précisant, les circonstances qui ont uni les deux cours.


III

Dans les calculs du gouvernement prussien, l’affaire des duchés n’était que le prologue du drame dont le dénoûment devait se jouer en Allemagne. Le moment approchait d’aborder la solution suprême rêvée à Berlin, de déposséder l’Autriche de l’influence séculaire qu’elle exerçait sur ses confédérés. Le roi se chargea d’aiguiser l’épée qui devait assurer la victoire, le ministre de faire