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plaçant derrière un écran. L’expérience étant ainsi disposée, il nous sera facile, — au moins dans certains cas, — de provoquer à l’insu de la malade des mouvemens intelligens dans son bras insensible. Nous allons assister à l’éveil d’une intelligence inconsciente, nous pourrons entrer en communication avec elle, la diriger, la forcer à résoudre des problèmes, et tous ces phénomènes, qui supposent des perceptions, une mémoire, et en un mot de véritables opérations psychologiques, se développeront sans que la malade en ait conscience.

Sans doute, l’existence de mouvemens inconsciens chez les hystériques n’est pas faite pour nous étonner ; chacun de nous, en se surveillant lui-même avec un soin suffisant, surprend des séries d’actes automatiques qui s’accomplissent sans volonté et sans conscience. Marcher, s’asseoir, tourner la page d’un livre, sont, en grande partie, des actes inconsciens. Mais il est difficile d’étudier, chez une personne normale, les caractères et surtout l’étendue de l’activité mentale inconsciente ; cette activité se montre surtout routinière, faite d’habitudes, vivant de répétitions ; elle se développe peu, et presque jamais elle n’arrive à la dignité d’une personnalité indépendante. Les conditions d’étude sont bien plus favorables lorsqu’on s’adresse à certains sujets hystériques, spécialement à ceux qui ont été fréquemment hypnotisés ; supposons que nous avons sous les yeux un de ces sujets d’élite, et voyons ce qui se passe.

En premier lieu, si on imprime un mouvement quelconque à un membre insensible, ce mouvement a une tendance à se répéter, à se prolonger indéfiniment. Prenons un doigt, fléchissons-le plusieurs fois de suite, puis abandonnons-le ; nous le verrons continuer le mouvement de flexion pendant quelques instans. Il en sera de même si on agit sur l’articulation du poignet ou sur celle du coude. Pour comprendre toute la délicatesse de ces mouvemens inconsciens, il faut mettre un crayon dans la main insensible et faire écrire à cette main une lettre, un mot ou une phrase entière, comme s’il s’agissait d’un enfant à qui l’on enseignerait l’écriture. La main de l’hystérique suit docilement, sans raideur, le mouvement qu’on lui imprime ; elle le devance quelquefois et semble chercher à le deviner. Quand on l’abandonne, il arrive souvent qu’elle reste en position, tenant avec fermeté le crayon entre le pouce et l’index rapprochés ; au bout d’un instant, elle répète le mouvement qu’on vient de lui communiquer ; elle écrit de nouveau la lettre, le mot ou la phrase ; elle l’écrit plusieurs fois de suite, sans se lasser, et il faut parfois que l’observateur intervienne et enlève le crayon, ou immobilise la main en