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femmes d’abjecte condition, le plus souvent ils ont épousé des filles de fonctionnaires, placés plus ou moins haut dans la sacrée hiérarchie. Un médiocre employé pouvait devenir beau-père d’empereur, et les chefs des tribus barbares en rêvaient sous leurs tentes de feutre.

Une coutume singulière présidait parfois à ces choix ; elle nous est connue par le mariage de Théophile, le fils de Michel le Bègue. Quand il eut succédé à son père, sa belle-mère Euphrosyne envoya des messagers dans toutes les provinces et fit venir au Palais-Sacré les plus belles filles de l’empire. Elle les réunit dans une des salles les plus magnifiques, le triclinium de la Perle, et remettant à son beau-fils une pomme d’or, lui dit : « A celle qui te plaira le plus donne la pomme. » Il y avait parmi les concurrentes une vierge de noble famille, nommée Icasie. Le jeune empereur, étonné de sa beauté, s’approcha d’elle et, en manière de compliment, lui dit : « Les femmes ont causé beaucoup de maux. » — « Oui, mais elles sont la source de beaucoup de bien, » répondit vivement Icasia. Théophile fut choqué de cette promptitude de repartie. Soit qu’il fût encore un sot, soit que ses instincts de futur despote fussent déjà éveillés, tant d’esprit l’effraya ; et, dit le chroniqueur, « déconcerté et blessé de ces paroles, » il laissa Icasia et donna la pomme à Théodora, fille d’un chef militaire de Paphlagonie. Icasia, qui avait touché de si près à la couronne, se retira dans un monastère qu’elle-même avait fondé. Elle y vécut en femme pieuse et en femme de lettres, à la mode de Byzance, composant des récits édifians et des cantiques.

Brunet de Presle, le savant helléniste, estimait que ce récit n’avait aucun fondement historique et qu’il n’y fallait voir qu’un échantillon du goût romanesque des chroniqueurs de cette époque. On peut n’être point de son avis : le fait est rapporté, avec les détails les plus précis, par plusieurs auteurs. On peut citer un second trait du même genre, qui ne se trouve pas dans les chroniqueurs byzantins actuellement connus de nous, mais qui nous est conservé dans un des plus anciens livres slavons traduits du grec, la Vie de Philarète le charitable. Il y est raconté que la grande Irène, voulant marier son fils Constantin, fit venir à Byzance dix jeunes filles, les plus belles de l’empire, parmi lesquelles Marie, la fille de Philarète. Celle-ci, qui avait l’âme bonne et l’esprit avisé, proposa aux autres concurrentes de s’engager par une promesse réciproque : celle qui serait choisie se souviendrait de ses compagnes et les marierait honorablement. Une seule, Gérontéia, par excès d’orgueil et certitude du succès, refusa de s’engager. Elle fut cependant éliminée. Marie fut choisie et tint parole à ses rivales. Du reste, Euphrosyne ou Irène, en instituant ces concours