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pouvoir effacer de son front ces traces de la persécution : « Non ! non ! s’écria-t-il, j’ai juré à votre mari que je les lui ferais lire devant le tribunal de Dieu, et je lui tiendrai parole. » Théodora n’avait pas intérêt à ce que le prince dont elle tenait le pouvoir fût voué à un anathème éternel. Toute en larmes, elle supplia le martyr d’oublier son injure, l’assurant que son mari s’était rétracté à ses derniers momens et avait baisé les saintes images. L’Église accepta ce pieux mensonge : elle consentit à prier pour l’âme de l’empereur et à faire espérer à sa veuve qu’il serait sauvé, sinon par ses mérites, au moins par ceux de sa femme. Le règne de cette autre Irène fut aussi fameux que celui de la première : son général-eunuque Théoktistos fut battu en Crète par les Arabes, mais les Bulgares se convertirent à la religion de Byzance et l’on essaya d’évangéliser les tribus manichéennes ou idolâtres de la péninsule des Balkans. La Basilissa, qui, déjà du vivant de son mari, exerçait le commerce de mer et même faisait la contrebande, amassa un trésor considérable. Elle perdit le pouvoir par un coup d’État de son fils Michel. Il fit assassiner Théoktistos et enjoignit à sa mère de rendre ses comptes. Elle n’essaya pas de résister, mais elle pria le sénat d’assister à l’inventaire de son trésor et ensuite se retira dans un monastère. Si résignés que fussent désormais les Byzantins à l’autorité d’une femme, dès qu’une autorité masculine se révélait, la première n’avait qu’à disparaître.

Le fils de Théodora était Michel l’Ivrogne. Il ne mit pas plus de onze mois à dissiper les épargnes de sa mère et à faire fondre sa vaisselle d’or et d’argent. C’était un débauché de toute façon. Sa mère, pour l’arracher aux séductions d’une certaine Eudokia, la fille d’Inger, l’avait marié à une autre Eudokia, la fille du Décapolite. Il n’en continua pas moins à entretenir des relations avec la première. Pour les rendre plus faciles, il imagina de la marier à Basile le Macédonien, et ce futur fondateur d’une grande dynastie dut se prêter à la honteuse combinaison. On assurait même que les deux fils aînés de Basile, dont l’un devait être l’empereur Léon VI, n’étaient pas les enfans de leur père, mais ceux de Michel.

Léon VI a fait aussi beaucoup parler de lui, chapitre des femmes. Ses Novelles, avec la dernière énergie, proscrivent les troisièmes noces et les flétrissent : « Les brutes elles-mêmes, quand elles ont perdu leur femelle, se résignent au veuvage, à la différence des hommes qui, sans pudeur, procèdent à un second mariage et qui, non contens de ce péché, passent du second mariage à un troisième. » Or, si l’Église grecque a fait une sainte de Théophano, la première femme de Léon VI, c’est apparemment pour récompenser la résignation avec laquelle elle supporta les désordres de son mari. Quand elle mourut, l’austère législateur, après l’avoir