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Le reproche que le pasteur luthérien ou le pope orthodoxe adresse volontiers à l’israélite, on voit que les rabbins seraient en droit de le retourner au chrétien. Eux, aussi, peuvent s’inquiéter. Plusieurs le sentent et le confessent. J’en ai rencontré, dans les juiveries de l’Est, qui redoutaient de voir tomber les barrières artificielles encore dressées entre leurs frères et les gentils, préférant l’humiliation et la gêne de lois restrictives à nos libertés corruptrices. Ils se disaient que tout peut-être n’est pas profit pour Israël dans cette civilisation qui semble lui ouvrir le monde. Là où d’autres saluent le triomphe de Sion, ils se demandaient s’il ne fallait pas voir dans sa victoire le prélude de sa chute, et si l’émancipation de Juda ne devait point aboutir à la submersion de Juda, lentement englouti par les nations.

Entre le juif et le non-juif, entre « le sémite » et « l’aryen, » il y a toujours cette différence que ce sont bien nos idées et notre culture aryenne, germano-latine, qui risquent de désagréger le judaïsme, tandis que les doctrines qui menacent le christianisme et rongent nos sociétés chrétiennes n’ont rien de spécifiquement sémite. Allez voir chez les Arabes. Le mal que nous l’accusons de nous apporter ou de nous transmettre, le juif l’a gagné chez nous. A cet égard, il en est de l’Orient comme de l’Occident, et de la Russie comme de nous-mêmes. Scepticisme, matérialisme, nihilisme, loin d’être des produits juifs, ne sont, chez les juifs qui en sont infectés, qu’un signe et une suite du rapprochement des races ; ils attestent le contact du juif avec nous. Ici, comme presque partout, et dans le monde moderne aussi bien qu’au moyen âge, le juif n’a été qu’un agent de transmission, un courtier. Les denrées intellectuelles qu’il nous offre et nous débite, elles ne sont pas d’habitude de sa fabrication ; elles ne sortent pas de chez lui ; il les a prises chez nous, dans nos ateliers ou nos laboratoires. Tout au plus, leur donne-t-il une façon, un apprêt. On répète souvent que le juif ne produit rien, qu’il n’est jamais qu’un intermédiaire. C’est peut-être ici que cela est le plus vrai.

Sous ce rapport même, l’on me semble outrer l’influence du juif. S’il a parfois le monopole de la banque, il n’a pas celui du colportage des idées. Rien ne nous oblige à nous en approvisionner chez lui. Il est peu équitable d’attribuer à l’ironie juive, au scepticisme israélite, à l’esprit sémitique, la diffusion de doctrines que, souvent, le juif ne nous sert que parce qu’elles sont à notre goût, et qu’elles font recette. Ici encore, avec ses vieux instincts de trafiquant, il obéit à la loi de l’offre et de la demande.

Entre l’esprit juif et l’esprit chrétien, entre l’ancienne loi et la nouvelle, là où toutes deux ont gardé leur empire, il s’en faut que