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y a, au centre de l’Europe, un vaste réservoir de juifs dont le trop-plein tend à s’écouler vers l’ouest.

Ces fils de l’Orient, originaires de l’Asie, sont arrivés de l’Occident[1]. Ils sont venus de l’Allemagne, vers le milieu du moyen âge, fuyant les persécutions partout soulevées contre les juifs sur la route des croisés. Ils ont multiplié à l’ombre des sapins de la Vistulo et du Dnieper, comme, au temps des Pharaons ou des Ptolémées, sous les palmiers du Nil. Un des traits caractéristiques de la race, qu’expliquent sans doute ses migrations successives, c’est sa faculté d’acclimatation sous tous les ciels. Le juif vit partout et multiplie partout.

A considérer la répartition actuelle des Israélites sur le globe, on croirait que le berceau de la maison d’Israël a été la Mazovie[2]. Pour n’en être pas persuadé, il ne faut rien moins que les témoignages précis de l’histoire. Et, de fait, si les terres polonaises n’ont pas été le point de départ historique de Juda, elles en sont devenues le centre géographique. C’est de ce nouvel Israël sarmate que, sous le stimulant de vexations et de souffrances à peine inférieures à celles endurées par leurs pères, les juifs modernes essaiment, sous nos yeux, en Europe et en Amérique. Le vent de persécution qui, depuis des siècles, chasse la poussière d’Israël, d’orient en occident et du midi au septentrion, a soulevé, de nouveau, les débris des tribus : le vent s’est seulement retourné. Après avoir poussé les pères, d’occident en orient et du sud à l’aquilon, de France en Allemagne, d’Allemagne en Pologne, l’orage menace de rejeter les fils vers l’occident. Les courans séculaires des migrations juives tendent à changer de direction. Le chemin de l’est, du far-east de notre continent, est barré par une épaisse levée, les lois russes, qui, ainsi qu’une digue artificielle, ferment aux juifs l’intérieur de l’empire ; force leur est de refluer vers l’ouest. Les vieux états de l’Europe, comme les jeunes états de l’Amérique, risquent ainsi de voir arriver sur eux, telle qu’un brusque mascaret, une longue vague d’immigrans juifs.

Avec le nombre et l’importance des juifs croissent les antipathies et les jalousies contre les juifs. De là l’antisémitisme. A l’occident, non moins qu’à l’orient, — en Allemagne, en Autriche-Hongrie, en France même, aussi bien qu’en Russie, en Roumanie, en Algérie,

  1. Nous verrons qu’en Pologne ou en Petite-Russie ces juifs d’Occident ont pu se rencontrer avec des juifs ou des prosélytes juifs, établis dans les steppes russes.
  2. Il est difficile de ne pas avoir cette impression devant les cartes qui montrent la densité relative de la population israélite sur notre continent. Voyez, par exemple, une carte publiée par l’Anglo-Jewish Association, dans son rapport pour l’année 1888.