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Si, depuis quelques années l’absorption est de beaucoup plus considérable que la restitution, on ne peut s’en prendre qu’à la puissance de développement acquise par l’épargne française, la Caisse des dépôts ayant reçu, en outre de beaucoup d’autres attributions, celle de dépositaire, gardienne, tutrice de cette épargne en voie constante de formation.

Depuis un an environ, la Caisse a commencé à sortir de la pénombre où elle avait paru se complaire jusqu’alors. Elle n’en est pas sortie proprio motu; des circonstances extérieures ont provoqué l’évolution.

C’était après les élections générales de l’automne dernier. Le gouvernement républicain se trouvait fortifié par le grand succès populaire de l’Exposition et par la déroute du boulangisme. La nation se mit à épargner avec frénésie, et, comme le Panama, les cuivres et le Comptoir d’escompte l’avaient dégoûtée, pour un temps, des placemens aventureux, elle porta ses économies à peu près exclusivement aux Caisses d’épargne. En même temps se produisit à la Bourse un autre phénomène qui avait, avec le précédent, une relation fort étroite que tout le monde n’aperçut pas d’abord, la hausse de la rente française à des prix que pas un économiste, pas un boursier, pas un homme du métier n’eût osé concevoir comme possibles quelques mois auparavant.

Cette hausse du 3 pour 100 français se poursuivant avec une régularité inaccoutumée, n’admettant ni repos ni réaction, broyant les résistances, écrasant les découverts, parut une sorte de prodige. Mais aujourd’hui les prodiges veulent être expliqués. On n’acceptait pas que la spéculation eût seule assez de puissance pour porter si allègrement le poids de la dette française, encore moins était-il concédé que les demandes des petits capitalistes eussent un pareil pouvoir. Le public entrevit d’instinct la cause du phénomène, mais sous une forme vague, comme il fait toujours : la hausse de la rente était due aux achats des « caisses publiques ; » le gouvernement faisait la hausse de la rente. Quelles étaient ces caisses? Le Trésor lui-même, la Banque de France, le Crédit foncier? Ces hypothèses ne tenaient pas debout. Les initiés savaient, dès l’origine, qu’une seule caisse opérait ces achats, la Caisse des dépôts et consignations, agissant pour le compte des caisses d’épargne.

Au mois de mai dernier, M. Bouvier, ministre des finances, fut appelé, à propos d’une interpellation, à donner à la chambre et au pays l’explication officielle de la hausse de la rente. Il montra le flot des dépôts montant sans cesse aux guichets des Caisses d’épargne sur tous les points de la France, poussée extraordinaire de confiance datant d’octobre 1889 et apportant millions sur millions