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bout. Le fait est, qu’après avoir vécu depuis dix ans de négociations avec tous les partis, de compromis entre toutes les nationalités de l’empire, d’habiles combinaisons, le comte Taaffe a vu les difficultés grossir depuis quelque temps, les antipathies de races se réveiller, les incohérences parlementaires se multiplier, et la majorité sur laquelle il s’appuyait, près de lui manquer. De toutes parts, règne une certaine confusion. À Vienne et dans la Basse-Autriche, c’est l’antisémitisme qui se déchaîne, au point de devenir inquiétant. Dans le Tyrol, à Inspruck, les scissions et les résistances ont éclaté, de la part des catholiques, qui réclament contre les lois scolaires, de la part des députés italiens du Trentin, qui réclament leur autonomie. En Bohême, à Prague, c’est une autre affaire. Le compromis, par lequel on croyait rétablir la paix, n’a fait qu’envenimer les querelles et mettre l’anarchie dans la diète. Ce malheureux compromis en est encore à ses préliminaires. Les dispositions les plus insignifiantes ont pu être votées ; les parties essentielles ne peuvent pas l’être, parce qu’il faut les trois quarts des voix. Le seul résultat de cette tentative a été de ruiner l’influence des vieux Tchèques, qui ont contribué au compromis, de faire la popularité des jeunes Tchèques et d’irriter encore plus les Allemands déçus dans leurs prétentions. Les conservateurs du Reichsrath sont eux-mêmes loin d’être satisfaits. Le comte Taaffe a vu cela, et il a cru sans doute que le meilleur moyen était de brusquer les élections, dans l’espoir de retrouver une majorité. La mesure peut être habile, on peut aussi se demander comment les élections pourraient reproduire autre chose que les incohérences qui sont dans le pays.

Les affaires humaines sont singulièrement mêlées. À travers les agitations qui sont inséparables de la vie publique dans tous les pays, les deuils imprévus, auxquels n’échappent pas les familles souveraines, font parfois de cruelles diversions. C’est ainsi que la Belgique, qui est depuis quelque temps livrée à des mouvemens d’opinion assez vifs, quoique encore un peu confus, pour une révision de la constitution, pour la conquête du suffrage universel, vient de voir disparaître prématurément un jeune prince, objet des espérances du pays : le prince Baudouin, fils du comte de Flandre, neveu du roi Léopold, héritier en perspective de la couronne belge. Tandis que les partis en étaient à organiser leurs manifestations, qui ont été, à la vérité, passablement contrariées par la saison, le jeune prince a été enlevé en quelques jours, on pourrait dire en quelques heures. Naguère encore il faisait, avec le zèle intelligent et l’entrain de ses vingt ans, son service de capitaine dans un régiment. Il avait su, par sa bonne grâce, par la vivacité de son esprit, gagner toutes les sympathies et se faire une aimable popularité. Le roi Léopold, depuis qu’il avait perdu son fils, il y a plus de vingt ans déjà, et la Belgique elle-même, s’étaient accoutumés à voir dans ce jeune homme, élevé avec soin, le futur roi