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vérité constitutionnelle ? Où est le pouvoir ? Est-ce M. Floquet qui est chargé de la direction politique du pays ? Ceux qui devraient être le gouvernement ne sont-ils plus que les afficheurs des discours et des programmes de M. le président de la chambre ? M. Floquet, qui parle de l’arrogance des autres, a lui-même une certaine hardiesse dans l’infatuation, et surtout peu de mémoire. Il oublie que cette politique qu’il expose si fièrement aujourd’hui, qu’il prétend imposer, il l’a représentée comme président du conseil, il l’a pratiquée au pouvoir. Il l’a même si heureusement pratiquée qu’on ne sait trop ce qui serait arrivé de la république et de la France s’il était resté quelque temps de plus aux affaires, si d’autres n’étaient venus réparer ou atténuer ses fautes, si le pays, surtout, n’avait pas réussi à se défendre avec sa simple raison contre le boulangisme, dont la politique radicale avait favorisé les succès. Est-ce là l’expérience qu’il propose de recommencer ? Est-ce par cette politique de secte et de combat promulguée du haut de son fauteuil que M. le président de la chambre se flatte de mettre la république au-dessus des contestations, d’établir l’harmonie entre les pouvoirs publics et d’assurer cette stabilité dont il parle ? Le seul résultat de ces manifestations d’une prépotence de fantaisie, au contraire, est de fausser toutes les idées, de laisser tous les pouvoirs affaiblis, le gouvernement diminué, de mettre à nu l’incohérence de l’État. Et c’est ainsi que se préparent ces situations où les choses les plus simples prennent tout à coup une importance démesurée, où l’on est à la merci de l’imprévu, d’un incident comme cette affaire du drame de Thermidor, de M. Victorien Sardou !

Tout en vérité est étrange, et les circonstances et la conduite du gouvernement, dans cette aventure d’une œuvre d’imagination autour de laquelle se joue depuis quelques jours la plus bizarre des comédies politiques. Comment donc cette représentation du Théâtre-Français, après avoir été autorisée, s’est-elle trouvée brusquement interdite et est-elle devenue une affaire d’état, qui a mis un instant tout le monde politique et parlementaire en désarroi ? Il faut voir les choses comme elles sont. Tirer un drame de la révolution française, de ces tragiques annales qui, malgré un siècle écoulé, nous touchent encore de si près, remettre en scène le comité de salut public, le tribunal révolutionnaire, les bourreaux et les victimes, est toujours, si l’on veut, une idée un peu hasardée ; on ne remue pas sans péril cette redoutable histoire. Ponsard, en son temps, a eu cette idée dans ses drames de Charlotte Corday, du Lion amoureux, et il y a trouvé le succès. M. Sardou a voulu aujourd’hui renouveler la tentative ; il a fait son Thermidor, en homme expérimenté et hardi, accoutumé à jouer avec les difficultés de son art. On ne peut certes pas dire qu’il ait mis quelque calcul de parti dans son œuvre, qu’il ait eu la pensée de dénigrer et de diffamer la révolution : il ne cesse au contraire de la glorifier dans ce qu’elle a eu de