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de la paix, détruisent toute orthodoxie et toute religion, comme si l’amour de la paix était un péché capital et habituel aux théologiens : l’amour de la paix que, pour moi, je regarde comme la plus grande et la plus véritablement chrétienne de toutes les vertus! Heureux les hommes pacifiques, monsieur Voet! Mais tant que vous chercherez ainsi des querelles, vous ne serez pas heureux. »

Ce pauvre Voet était batailleur, cela est certain, et sur presque toutes les questions, prenait le mauvais parti. Mais il le prenait avec conviction, et ne mérite pas les reproches dont on l’a accablé. C’était, comme on disait alors, un très suffisant homme et ayant quelques belles parties.

Nous ne voulons parler, bien entendu, ni de science, ni de philosophie. Quand on traite un homme de scélérat, d’hypocrite, de fourbe, d’adversaire déloyal et pervers, on n’a pas évidemment l’intention de l’accuser d’erreurs en mécanique, en astronomie, en physiologie, en métaphysique ou même en théologie. La question qui se pose entre les deux adversaires est celle des procédés dont ils ont usé. Descartes a eu les premiers torts.

Les historiens de la philosophie s’accordent pourtant à conclure tout différemment! L’explication est simple; ils élargissent la question. La lutte s’est élevée entre la routine et le progrès ; qui pourrait hésiter? Dans le combat où Descartes, pour l’honneur de l’esprit humain, doit rester vainqueur, toutes les sympathies lui sont dues. Voet est un impertinent. Il sied bien à cet esprit médiocre, à ce pédant, à ce savant en us, de se mesurer avec un génie immortel! Il devrait se taire ou, plutôt, étudier le Discours de la méthode, s’avouer vaincu et saluer son maître.

A Descartes tout est permis, même les injures. De quel droit?


Du droit qu’un esprit vaste et ferme en ses desseins
A sur l’esprit grossier des vulgaires humains.


Ceux qui refuseront ce respect au génie, dont l’absurdité ne manque pas de grandeur, doivent avouer que, dans ses querelles avec Descartes, comme dans toutes les circonstances connues de sa vie, Voet a le rôle d’un honnête homme.


J. BERTRAND