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protéger les jeunes filles qu’on désire soustraire à un fâcheux entourage ; les plus connues sont les Maisons de la princesse Louise, la Société de secours pour les jeunes femmes et les enfans, et une autre société qui se charge de loger les jeunes personnes arrivant de la province pour trouver quelque emploi dans la capitale.

Mrs Jeune raconte, dans un article publié par la National Review, qu’une femme qui consacre sa vie à porter des secours dans l’un des quartiers les plus misérables et les moins sûrs de Londres, où elle connaît chaque maison et chaque famille, disait : « Je ne sais pas où travaille l’Armée du salut, je ne l’ai jamais rencontrée[1]. » Cette femme charitable était injuste, l’Armée du salut travaille beaucoup ; mais on peut dire avec Mrs Jeune : « Sans éclat de fanfares et vacarme de tambours, la petite armée des ouvriers du bien, actifs et silencieux comme des fourmis, poursuit une œuvre qui nous étonne par sa grandeur. » Hélas ! le mal est si grand qu’on ne fera jamais assez. Pourquoi donc M. Booth semble-t-il voir avec jalousie ses concurrens ? Il se serait fait honneur en rendant justice à tout le monde, en se montrant étranger à tout esprit de secte, de corps ou de boutique. Un homme qui cherche le bien de l’humanité ne doit pas être soupçonné de chercher aussi sa gloire et d’aller par la bienfaisance à la domination.

N’y a-t-il donc rien d’original, de vraiment neuf dans les plans de M. Booth ? Il n’a fait, a-t-on dit, que s’approprier le bien d’autrui, les idées de ses devanciers, en les démarquant ; mais tandis que jusqu’ici, les associations philanthropiques s’étaient partagé les soins et le travail et que chacune avait sa fonction particulière, il prétend que le travail s’affaiblit en se divisant, il se croit capable de suffire à tout, il aspire à concentrer dans ses mains toutes les œuvres de miséricorde, et sa seule originalité est sa prodigieuse ambition.

C’est aller beaucoup trop loin, et je ne vois pas, par exemple, que personne avant M. Booth ait imaginé de fonder des colonies agricoles, destinées à diminuer au profit des campagnes la population surabondante des grandes villes et aussi à faire l’éducation des émigrans qui vont chercher fortune sur quelque lointain rivage et qui, faute d’être préparés à leur nouvelle destinée, ne trouvent dans leur eldorado qu’un surcroît de malheur. M. Booth estime qu’en définitive le principal remède du paupérisme est l’émigration, mais que telle qu’on la pratique, elle ressemble plus à un fléau qu’à une guérison. « C’est un crime, dit-il, d’expédier au-delà de l’océan une multitude d’hommes et de femmes dénués de tout secours et de toute instruction, riches

  1. N° du 1er janvier 1891 de la National Review : « General » Booth’s Scheme, by Mrs Jeune.