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pour la scène ; et successivement avec la Tentation, avec Montjoie, — celle de toutes ses pièces que je crois qu’il aimait le plus, — et avec la Belle au bois dormant.

Parmi beaucoup de conventions, dont, sans doute, il y en a quelques-unes d’arbitraires, il est pourtant vrai que le théâtre a des exigences de clarté, de rapidité, de logique, et de précision que n’a point le roman. Les caractères, par exemple, n’y sauraient avoir cette espèce de flottement, pour ainsi parler, ou d’indétermination qu’on leur souffre, et qui souvent même nous charme, dans le roman. Pareillement, l’imitation de la vie n’y est pas plus fidèle, mais, comme l’inexactitude en est plus promptement aperçue ou sentie, il faut donc que la ressemblance y soit aussi plus apparente, et par conséquent le détail plus réel. On n’y peut pas « situer » ou « planter » des scènes de la vie réelle dans un décor de féerie ou de ballet, et le marquis ou le bourgeois n’y sauraient porter la même redingote, les mêmes gilets, les mêmes cravates. Il faut encore que le dialogue y ait quelque chose de plus vif et de plus large à la fois ; de plus décisif et de plus « coupant, » si je puis ainsi dire. Pour tous ceux dont l’errante imagination s’abandonnerait volontiers au cours sinueux de leur rêverie, comme aussi pour tous ceux dont l’observation subtile, ayant quelque chose de trop « choisi, » risquerait, par là même, d’avoir quelque chose de trop étroit, le théâtre est la meilleure école…

Feuillet en fit l’épreuve, et il en profita. Non pas, comme je l’ai déjà noté plus haut, que, s’il a remporté de grands succès au théâtre, je les croie vraiment durables. On joue, dit-on, souvent encore la Tentation en Allemagne, mais je ne conseillerais à aucun de nos directeurs de la remettre à la scène ; et ni Montjoie, ni Julie, ni le Sphinx ne s’inscriront au répertoire : j’en ai peur, si je n’en suis pas sûr ! Était-il peut-être trop romancier pour être auteur dramatique aussi ? Car, s’il n’y a guère de sujet de roman qui ne puisse devenir un sujet de drame, et réciproquement, cependant la manière de les traiter diffère ; et lui-même le savait bien, qui n’a mis que bien peu de ses romans à la scène ! La correction un peu froide et la sobriété de son style, dont encore il affectait, quand il écrivait pour la scène, de retrancher les moindres ornemens, y font-elles peut-être l’effet de la sécheresse ? Ou bien encore son genre de talent, ennemi de la vulgarité, mêlé de délicatesse et de force, s’accommodait-il assez mal des conditions matérielles de la scène ? de son optique grossissante ? de la qualité du public ? et de certaines concessions qu’il faut toujours lui faire ? Je ne sais ; et c’est, d’ailleurs, une question qu’on peut se passer de décider. Mais je sais, en revanche, qu’il avait certainement quelques-uns