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Sainte-Beuve l’avait assez bien démêlé, qu’une part au moins de son « romanesque, » l’auteur de la Petite Comtesse et des Scènes et Proverbes la tenait « de l’éducation première qu’il avait reçue, de son milieu d’enfance et de jeunesse, de l’ensemble de ses habitudes et de ses mœurs. » Il voulait dire, et, en somme, il disait que, pour écrire le vrai « roman d’un jeune homme pauvre, » ce qui manquait surtout à Feuillet, c’était d’avoir éprouvé lui-même, ou coudoyé la vraie pauvreté, celle que les hommes secourent, mais qu’ils ne haïssent pas moins à l’égal d’un vice. Dans ce milieu « bourgeois et distingué » que fréquentait l’auteur, s’il avait été, par là même, préservé de bien des contacts, il avait été privé de plus d’un sujet d’observation et de bien des occasions d’expérience. A peine même pouvait-on dire qu’il eût traversé « la vie littéraire, » la vie de bohème ; et tout ce que ses aristocratiques modèles avaient déployé devant lui de grâces apprises et de beaux sentimens convenus, s’il n’en avait pas été la dupe, comme on le devinait à la légère et piquante ironie de sa manière, on pouvait craindre qu’il ne le devînt. C’est ce qu’il comprit, et sans changer de modèles, il étudia de plus près, d’un œil toujours charmé, mais déjà plus attentif, ceux qu’il avait accoutumé d’imiter, et que d’ailleurs il ne devait jamais cesser de préférer aux autres. Il était ainsi fait qu’il aimait mieux les salons que les bouges ; et je dirai tout à l’heure ce que nous avons gagné, nous qui le lisons, à cette préférence. Mais au lieu de se jouer à la superficie des choses, il attacha son observation aux drames éternellement humains, qui se jouent entre marquis et baronnes, comme entre couturières et mécaniciens. Il vit qu’un sourire, une rougeur, un air de tête, un geste, une épigramme trahissaient quelquefois plus d’ardeur ou de violence même de passion que n’en expriment, dans un autre monde, les interjections, les larmes ou les injures. Et de la peinture de ces passions, enveloppées, ou si je puis ainsi dire, comme ouatées de discrétion, mais intérieurement exaspérées de toutes les contraintes que leur imposent l’éducation et l’usage, il conçut l’ambition d’en faire quelque chose qui fût aussi noble et aussi « fort » à la fois que la tragédie de Racine, qu’Andromaque ou que Bajazet. Et nous, maintenant que la mort nous a délié la langue, serons-nous suspect de flatterie, si nous disons qu’il y a presque réussi ?

Ce qui d’ailleurs ne laissait pas encore, vers le même temps, entre 1850 et 1800, de contribuer à préciser ce qu’il y avait d’inconsistant et d’un peu vague dans le romanesque de sa première manière, c’était l’expérience qu’il faisait du théâtre, avec sa Dalila d’abord ; puis avec son Roman d’un jeune homme pauvre, adapté