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servitude, la reine Louise ne se résignait ni se décourageait : elle ajourna ses espérances, elle ne les abdiqua pas.

Il fallait qu’elle eût en elle une force extraordinaire de volonté et de conviction pour ne pas désarmer en présence des faits accomplis ; car, depuis le départ de Stein, elle n’avait plus personne pour la comprendre, personne pour la soutenir, et tout le monde auprès d’elle, le roi plus que les autres, s’humiliait devant Napoléon Sa grande consolation, sa seule aide morale, dans ces tristes jours, iut la lecture assidue des Psaumes, qu’elle appelait un « alléluia dans les larmes. » Ces incomparables productions du génie hébreu, ces beaux chants nés sur les bords de l’Euphrate au temps de la captivité lui allaient au cœur. Elle les lisait dans le ravissement et trouvait leur exquise poésie en merveilleux accord avec ses sentimens intimes. S’appropriant leurs plaintes ardentes et leurs fières assurances, elle en appelait, avec Israël, au grand jour de Jéhovah contre l’iniquité triomphante, contre le règne de la force et de l’orgueil ; et son âme pleine de foi dans l’éternelle justice s’élançait résolument vers l’avenir.

Le 23 décembre 1809, après trois ans d’absence, elle fit sa rentrée dans la capitale. Elle se promettait depuis longtemps une grande joie de ce retour à Berlin, elle n’y trouva qu’un sujet nouveau d’alarmes : des avis expédiés de Paris assuraient que Napoléon, impatient des retards apportés par la Prusse épuisée au paiement de ses contributions de guerre, se préparait secrètement à lui arracher encore un morceau de territoire.

Un besoin impérieux de repos la détermina, vers le milieu de juin, à aller passer quelques jours à Neu-Strélitz, chez son père. Le 25 juin 1810, elle quitta Charlottenbourg. Les personnes qui l’accompagnaient furent frappées de sa tristesse. Quoiqu’elle se dît heureuse de revoir sa famille qu’elle n’avait pas embrassée depuis six ans, elle ne cessa de pleurer tout le long de la route, soit qu’elle eût perdu la faculté du bonheur, soit que toute émotion ne pût désormais se traduire en elle que par des larmes.

À Hohen-Zieritz, résidence d’été du duc de Mecklembourg-Strélitz, l’accueil des siens lui donna un éclair de gaîté ; mais, les premiers épanchemens passés, elle retomba dans une profonde mélancolie, en proie à de sombres pressentimens.

Quelques jours après son arrivée, elle dut prendre le lit : des spasmes violens l’étouffaient. Bientôt elle éprouva une douleur à la poitrine et elle cracha le sang.

Le roi, mandé en toute hâte de Berlin, arriva aussitôt avec ses deux fils aînés. Elle le reconnut encore ; mais le mal avait fait de si rapides progrès et la torturait à tel point qu’elle n’avait plus la force de parler. Le 18 juillet, elle entra en agonie, et, le