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elle se laissait aller déjà aux plus grandes espérances et croyait voir se rapprocher le terme de ses épreuves, quand soudain retentirent à Königsberg, où la cour venait de se transporter, les accusations terrifiantes du Moniteur français contre Stein.

La reine connut alors la pire des hontes nationales, la soumission, en pleine paix, à un ordre venu de l’étranger.

Quand, pour conjurer le nouvel orage qui grondait sur sa tête, Frédéric-Guillaume eut sacrifié son ministre, dont il supportait d’ailleurs impatiemment l’énergique et audacieux caractère, quand Stein, chassé de sa patrie, dépouillé de ses biens, poursuivi jusque dans ses affections intimes, fut allé chercher au fond de l’Autriche une retraite où ne put l’atteindre la haine clairvoyante de Napoléon, elle se sentit si seule et si accablée que, pour la première fois, vraiment elle désespéra.

L’arrivée inattendue de l’empereur Alexandre à Königsberg ne put la tirer de son affliction. Il revenait, encore enivré, des fêtes magnifiques d’Erfurth, et au passage il voulait donner à ses anciens amis une marque de sympathie.

Dans le malheur, la beauté de la reine Louise s’était non pas altérée, mais transformée. Son teint avait pâli, le sourire qui lui était habituel avait disparu de ses lèvres, même une légère teinte de bistre cernait ses yeux. Mais jamais elle n’avait atteint à un pareil charme d’expression. Ému de pitié devant cette triste et noble figure, troublé peut-être au fond de sa conscience par de vagues remords, le tsar lui exprima en la quittant le désir de la revoir bientôt à Saint-Pétersbourg avec son époux.

Cette invitation délivrait Frédéric-Guillaume d’un si cruel embarras, qu’il l’accepta sur-le-champ. Depuis plus de trois mois que sa capitale était évacuée, il n’osait ni y rentrer ni en demeurer plus longtemps éloigné ; car, si les Français n’étaient plus dans Berlin, ils étaient encore tout autour, à Magdebourg, à Wittenberg, à Torgau, à Stettin, à Cüstrin, à Stralsund et à Glogau. Or, d’aller s’enfermer dans ce cercle de fer, c’était s’exposer à être enlevé de son palais dès le moindre dissentiment et à subir le sort que le malheureux Ferdinand VII avait trouvé à Bayonne ; — et de rester à Königsberg sans motif plausible, c’était en revanche risquer d’irriter Napoléon en le soupçonnant de déloyauté et de perfidie.

Un voyage en Russie, une visite au tsar, au meilleur ami de la France, offrait au roi une excellente occasion d’ajourner son retour à Berlin et de gagner du temps, ce qui était l’unique, l’éternelle ressource de ce triste esprit.

La reine se résolut avec peine à l’accompagner. Elle prévoyait les commentaires qu’on ne manquerait pas de faire si elle prenait