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Quand la reine le vit prêt à s’humilier, elle fut remplie de douleur. Laissant à M. de Hardenberg et aux autres adversaires de M. d’Haugwitz le soin d’invoquer les raisons politiques qui pouvaient militer encore en faveur d’une rupture avec la France, elle fit aux sentimens du roi un appel passionné : elle le suppliait de repousser avec éclat le don du Hanovre comme un présent ignominieux et perfide, de se rappeler la parole d’amitié et de fidélité qu’il avait jurée au tsar, de placer au-dessus de toute considération le souci de sa dignité et l’honneur de sa couronne. Ou bien, trahissant le secret de son rêve intime, elle cherchait à le tenter par de brillantes perspectives : « C’était peut-être à lui, disait-elle, qu’était réservée la gloire de vaincre Napoléon ; il fallait peut-être un héritier du grand Frédéric pour terrasser celui à qui nul encore n’avait pu résister sur les champs de bataille de l’Europe. » Et, comme il demeurait inerte à ces discours, elle lui reprochait amèrement son apathie, s’oubliant jusqu’à lui dire que l’armée douterait de son courage s’il tardait plus longtemps à tirer l’épée.

Mais, lorsque le roi se fut définitivement résigné aux faits accomplis, lorsque le traité de Schœnbrunn modifié, ou plutôt aggravé à Paris, porta ses premières conséquences, lorsqu’il fallut s’excuser aux yeux de l’Europe d’envahir le Hanovre, courber la tête devant les invectives de l’Angleterre, et, comble de honte, subir pour prix d’un tel abaissement les dédains et les affronts de Napoléon, la généreuse nature de la reine Louise se révolta, et la passion qui depuis deux mois couvait en elle éclata tout entière.

Il y eut alors à la cour de Berlin un vrai parti de guerre, parce qu’il ne manquait plus qu’une âme pour unir en un parti tous ceux qui souffraient de l’attitude pusillanime du roi et réclamaient un politique plus digne et plus énergique. On se réunissait presque chaque soir dans le salon de la reine. Là, venaient le prince Louis-Ferdinand, rentré en faveur depuis les derniers événemens, et sa sœur la princesse Radziwill, d’un naturel non moins chevaleresque et passionné, la jeune et belle princesse Guillaume de Prusse, que ses admirateurs surnommaient la « Velléda germanique, » le prince de Hohenlohe, le baron de Hardenberg, le baron de Stein, le général Rüchel, le général Blücher. Et tous, s’exaltant à l’envi, déclamaient contre le « César d’aventure » que les Français s’étaient donné pour maître, contre ses rapts odieux, contre le scandale de son titre impérial, contre le péril croissant de ses ambitions, ou changeant de ton, raillaient sans pitié les façons de parvenu de ce « brigand couronné, » les mœurs de sa famille, la tenue de sa cour, et les prétentions de sa noblesse improvisée.

En vain, le roi, qui fuyait ces réunions, reprochait-il à la reine de