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Dans leurs longs tête-à-tête, que le roi se gardait bien de troubler, il lui parla un langage si grand, si noble et si exalté, il excita en elle de si beaux transports, qu’il lui apparut comme un demi-dieu supérieur à tous les hommes et digne de leur commander, et qu’elle crut avoir devant les yeux le type idéal du souverain. Ce fut une révélation. Elle n’avait trouvé jusqu’alors en Frédéric-Guillaume que les qualités moyennes de l’administrateur et les vertus bourgeoises de l’époux ; elle apprenait maintenant qu’il est pour les chefs de peuples des marques particulières d’élection ; que l’héroïsme, l’amour de la gloire, l’orgueil chevaleresque, l’ascendant moral, la passion entraînante sont leurs attributs naturels. Paré de ces dons prestigieux, l’empereur Alexandre allait au-devant du beau rêve qu’elle portait en son âme. Aussi, le vrai sentiment qu’elle lui voua fut-il celui de l’admiration, d’une admiration où sans doute il entrait aussi quelque tendresse, — car chez une nature sensible les fibres profondes se tiennent entre elles, et quand l’une est vivement touchée toutes résonnent, — mais où l’esprit et l’imagination eurent toujours plus de part que le cœur.

Le tsar, désormais, pouvait poursuivre son voyage, il laissait derrière lui une alliée éprise et fidèle, pénétrée de cette reconnaissance instinctive que, selon le mot de Goethe, on garde toujours à ceux en qui l’on s’est pour la première fois clairement réfléchi.

Ses adieux furent un coup de maître. Il devait quitter Potsdam le 4 novembre à minuit. Au moment de prendre congé de ses hôtes, il exprima le désir d’aller s’agenouiller au tombeau de Frédéric II. Il fallut en toute hâte faire ouvrir la petite église de la garnison où reposent ces restes illustres. À la pâle lueur de quelques torches, le tsar, Frédéric-Guillaume et la reine descendirent dans la crypte funèbre. La majesté du lieu, la gravité des circonstances, l’heure, les ombres, les flambeaux, tout contribuait à rendre saisissante et solennelle cette visite aux mânes de Frédéric. Soudain, comme entraîné par l’émotion, l’empereur Alexandre se jeta sur le sarcophage, le baisa avec ferveur ; puis, se relevant vers le roi et la reine, leur fit, en les embrassant, serment d’une éternelle amitié. Sa berline de voyage l’attendait au portail de l’église : il y monta précipitamment et partit au grand trot de ses six chevaux, impatient d’aller accomplir les destinées qui l’attendaient en Autriche.

Dès lors, la reine Louise fut transformée. De paisible et quelque peu indolente qu’elle était auparavant, elle se montra soudain ardente et belliqueuse, sa réserve habituelle disparut ; ses discours s’exaltèrent, une flamme plus chaude brillait dans ses yeux : comme une femme que la passion a visitée, elle semblait vivre d’une vie nouvelle et supérieure.

L’étonnement était général de la voir ainsi : « La reine, écrivait