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folie à la princesse Louise de ne pas l’entendre. Un mariage avec l’héritier présomptif du trône de Prusse était pour elle une fortune inespérée, car la maison de Mecklembourg-Strélitz, d’où elle sortait, était pauvre, et ne comptait guère dans le corps germanique. Ses sœurs aînées n’avaient trouvé mari qu’à grand’peine, et la médiocrité des alliances qu’elles avaient contractées rendait plus éclatante encore celle que la chance lui présentait.

Quinze jours après la première entrevue, le prince Frédéric-Guillaume de Prusse et la princesse Louise de Mecklembourg-Strélitz étaient officiellement fiancés, et, six mois plus tard, mariés en grande pompe à Berlin.

La douce Marie Leczinska, transportée brusquement de la modeste maison de Wissembourg au palais de Versailles, ne dut pas être, j’imagine, plus étonnée ni plus dépaysée que la princesse Louise en arrivant à la cour de Frédéric-Guillaume II.

La société de Berlin traversait alors une profonde crise morale. Échappée à l’austère discipline du grand Frédéric, elle s’était ruée dans le plaisir, dans la licence effrénée. L’exemple partait de haut : le roi, veuf de Mlle de Voss, ne comptait pas moins de trois femmes vivantes, — la princesse Elisabeth de Brunswick, qu’il avait répudiée, la princesse Louise de Darmstadt, avec laquelle il avait divorcé, et Mlle Doenhof, qu’il avait épousée morganatiquement : il avait, de plus, une favorite en titre, Mme Bietz, sans compter les maîtresses éphémères.

De leur mieux les courtisans imitaient le maître. Partout le vice, la corruption et la vénalité s’étalaient sans pudeur. Le dérèglement des idées n’était pas moindre que le désordre des mœurs. C’était le temps où la littérature organisait « la lutte contre la morale conventionnelle » et proposait à l’homme, comme idéal, « le bonheur par l’amour, mais sans devoirs ; » — où le pasteur Schleiermacher prônait « le système des échanges, » afin de remédier aux unions mal assorties ; — où Frédéric Schlegel proclamait que « les mariages n’étaient, en général, que des concubinats, ou plutôt des essais provisoires du vrai mariage. »

Un tel milieu était plein de périls pour une princesse de dix-huit ans, déjà très femme par ses instincts et par la conscience de sa beauté, livrée à un époux timide et inexpérimenté. Elle risquait d’y corrompre sa loyale et généreuse nature et de s’y dépraver à jamais.

Et, de fait, peu s’en fallut qu’elle ne se perdît au premier écueil. Deux mois ne s’étaient pas écoulés depuis le jour de son mariage qu’elle était compromise déjà par les assiduités de son cousin, le prince Louis-Ferdinand. Beau, élégant, d’un naturel chevaleresque et passionné, d’un charme exquis de manières et de parole, ce