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si long délai. Ne doutant pas d’ailleurs de la supériorité de ses vues sur celles du général espagnol et de l’approbation qui leur serait donnée par le conseil militaire de Louis XV, — ne pouvant supposer, disait-il, que le roi voulût perdre son armée pour suivre la fantaisie de M. de La Mina, — il regardait chaque jour perdu comme un retard inutile et une chance de succès enlevée au projet dont il aurait à assurer l’exécution, et dont son frère attendait la gloire. Il reprit donc à nouveau la discussion avec le marquis de La Mina, et s’efforça de lui prouver que, quelle que fût la résolution de leurs cours, soit qu’on persistât à les faire marcher à la délivrance de Gênes, par la voie du littoral, soit qu’on se ralliât à la pensée d’une diversion sur le Piémont par le Dauphiné, on ne risquait rien de mettre à tout événement les troupes déjà réunies à Briançon en mesure, par un renfort suffisant, de forcer le passage des Alpes. Nécessaire, disait-il, dans une des hypothèses, cette précaution était sans inconvénient dans l’autre. S’ils recevaient l’ordre d’emporter d’assaut l’entrée du Piémont, c’était un coup de main qui devait être exécuté aussitôt que résolu et en quelque sorte par surprise. Il fallait que tout fût prêt d’avance pour ne pas laisser au roi de Sardaigne le temps d’être averti et de se mettre en garde. L’autre plan, au contraire, non-seulement n’exigeait pas, mais ne comportait pas même une rapidité pareille. Il faudrait s’avancer méthodiquement, emportant successivement toutes les places de la côte, les différens corps d’armée ne pouvant s’engager que l’un après l’autre, faute d’espace pour se développer, et de subsistances pour se nourrir dans l’étroit passage qu’ils auraient à traverser. On aurait donc toujours le loisir de rappeler et de faire revenir les détachemens momentanément éloignés qui arriveraient encore à temps pour former l’arrière-garde de l’armée, avant que la tête fût parvenue dans le voisinage de Gênes et en mesure de menacer les positions des assiégeans. De bonne ou de mauvaise grâce, La Mina se rendit à ces instances, et vingt bataillons furent en effet, avec son consentement, expédiés, dans les derniers jours de juin, sur le Dauphiné, dont dix-huit français et deux espagnols. Joints aux trente qui étaient restés en observation à Briançon, c’était un effectif de plus de vingt-cinq mille hommes. Le chevalier de Belle-Isle se mit en route le 7 juillet pour aller prendre le commandement de cette force, portée, par là, à un chiffre assez respectable. « La partie devient intéressante, » écrivait Belle-Isle, plein de confiance[1].

  1. Belle-Isle au comte d’Argenson, 21, 30 juin, 7 juillet. —(Ministère de la guerre. — Partie officielle.)