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Toutes ces vexations ne sont qu’un avant-goût des tracas auxquels nous serons continuellement en butte de la part des Chinois durant notre traversée du Setchuen. Nous sommes, en effet, sur le point de repartir ; le choix de la route à suivre a donné lieu à de longues discussions : si nous avions cédé aux conseils inspirés par la fatigue, nous nous serions embarqués sur le Yang-tsé pour nous laisser aller jusqu’à Shanghaï. Mais nous sommes un peu reposés et nous ne perdons pas de vue le but de notre voyage, relier, à travers la Chine, les possessions russes aux possessions françaises ; le Tonkin est là, encore un effort ! nous y arriverons.

Nous avons la chance de rencontrer, à Tatsien-lou, un Anglais, collectionneur de papillons, qui, devant redescendre le Yang-tsé deux mois plus tard, c’est-à-dire aux basses eaux, veut bien se charger d’emporter nos collections. J’ai envoyé par l’intermédiaire du consul anglais de Tchong-King mes plaques photographiques. — Voilà un souci de moins pour nous.

C’est donc les mains vides et le cœur léger que, le 29 juillet, nous tournons définitivement le dos au Thibet. — A nos yeux, le vrai voyage est terminé. — Nous avons réussi à traverser un pays presque inconnu, faisant environ 2,500 kilomètres de route nouvelle. Nous avons réuni d’importantes collections ; nous sommes libres, et maintenant il ne s’agit plus que du retour, et par une route à peu près connue.

Si cette partie du voyage est moins pénible que la précédente, en revanche, elle est plus ennuyeuse ; nous quittons les montagnes pour descendre dans un pays de rizières, très habité ; la contrée est uniforme et d’une grande monotonie ; elle est surtout malsaine, marécageuse et fiévreuse. Nous sommes obligés de prendre de la quinine tous les matins, encore n’échappons-nous pas tout à fait aux atteintes de la fièvre, qui se manifeste tantôt par des accès violens, tantôt par des névralgies ou des maux d’estomac. Il pleut presque quotidiennement, nous pataugeons dans la boue, et certains torrens enflés nous arrêtent plusieurs jours, nous devons attendre la baisse des eaux pour que les quelques chevaux ou mulets qui portent notre bagage puissent traverser. Nous ne couchons plus sous la tente, mais notre confort n’est pas meilleur, car nous passons nos nuits dans de mauvaises auberges de bois, souvent ouvertes à tous les vents, empestant toujours l’opium et remplies de vermine. De plus, il faut continuellement nous battre avec les habitans ; les fils du Céleste-Empire ne voient pas d’un bon œil des Européens, et surtout des Français, voyageant sur leur territoire. Chaque jour, ils nous insultent à plaisir, et chaque jour aussi, à leurs injures, nous répondons par des coups