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terrain où chaque dimanche trois Français réunissaient quelques chrétiens pour leur dire la grandeur de la religion de France. Cet acte de violence ne fut pas le seul. Un mois après, on brûlait la cathédrale de Yérkalo et l’on anéantissait la bibliothèque, où quatre mille volumes avaient été réunis au prix de difficultés inouïes sur la frontière du Thibet. La mission d’Atentze a été également pillée, et maintenant les populations restées fidèles aux missionnaires sont partout persécutées. Aux remontrances qui lui sont faites, le Tsung-li-Yamen répond ouvertement par des promesses, et en secret envoie au vice-roi l’ordre de maintenir le statu quo, il lui enjoint même d’empêcher les missionnaires de revenir dans les localités où leurs passeports leur donnent cependant le droit de séjourner, de prêcher, d’acheter et de construire. Ici, le mandarin chinois qui a laissé agir les lamas, les débas (chefs) thibétains qui les ont aidés, et les lamas eux-mêmes ont peur, ils savent qu’on s’est moqué de la France et que le traité de Tien-Tsin n’est pas respecté. Ils se rendent si bien compte de cet état de choses qu’en nous voyant paraître, ils nous croient envoyés par le gouvernement français pour constater nous-mêmes les dégâts et demander une éclatante réparation. Nous nous gardons bien de les détromper, nous augmentons même leurs craintes en allant visiter les ruines de la mission, en faisant des photographies et en feignant de prendre des mesures. Les lamas s’enfuient à notre vue, et quand nous passons devant la lamaserie, du plus loin qu’on nous aperçoit, les portes sont immédiatement fermées. Le mandarin a même la bonté de nous faire dire de ne pas avoir à craindre et de nous promener sans armes. Nous le remercions de son avis, mais nous ne savons pas, en cette circonstance, quels sont les plus effrayés.


V. — DE BATANG AU TONKIN.

Nous ne restons que trois jours à Batang, le temps nécessaire pour réparer un peu nos coffres et faire les préparatifs indispensables. La route de Batang à Lytang et de cette ville à Tatsien-lou offre peu d’intérêt. Elle a été minutieusement décrite par Desgodins et par des voyageurs anglais. Aussi, regardons-nous moins. Nous trouvons pourtant quelques obstacles naturels, encore des passes à franchir s’élevant jusqu’à 4,700 mètres, et nous traversons à Hokeou dans de grandes barques un gros affluent à cours rapide du Yang-tsé. Cette rivière marque, en réalité, la limite du Thibet et de la Chine ; c’est à Hokeou que sont visés les passeports des commerçans qui vont au Thibet ou en reviennent. — Nous avons hâte d’arriver à Tatsien-lou ; nous doublons souvent les étapes ;