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couleur, à semelle de cuir, et pour tout vêtement le grand manteau de peau de mouton ou de grosse laine. Ils le serrent à la taille et se servent de la partie supérieure du vêtement comme d’une armoire où ils mettent leurs provisions. Ils se découvrent souvent l’épaule et le bras droits, et en général ont dans toutes leurs attitudes une grande élégance ; on retrouve ces traits dans tous les sauvages, et on peut en donner pour raison que, n’étant pas habitués à se charger de vêtemens, ils ont une simplicité primitive qui leur donne des poses naturelles.

Parmi les hommes, on rencontre de fort beaux types, des gens aux traits fins qui ont un profil grec très marqué, et mériteraient assurément de poser chez nos sculpteurs.

Les femmes sont plus laides : leur large face ronde semble, comme leur poitrine, n’être qu’une ébauche. On croirait que c’est taillé à coups de couteau en pleine chair, et que l’ouvrier a oublié d’achever son travail. Cette différence entre les hommes et les femmes s’explique bien si l’on songe que celles-ci se livrent à tous les gros travaux, tandis que les hommes ne font rien.

Ces indigènes sont de vrais enfans. — Un rien les amuse. — On trouve chez eux ce que jamais on ne rencontre en Chine : de braves gens capables de dévoûment et aimant à rire. Très vifs dans leurs mouvemens et très mobiles dans leurs impressions, ils vous massacreraient, si on les excitait contre vous, avec autant de facilité qu’ils viennent vous offrir du lait ou qu’ils vous prient de partager leur repas, quand ils vous aiment. En général, nos rapports avec eux ont été bons ; mais nous avons toujours tenu à payer au-delà de ce qu’espéraient ceux qui nous servaient bien ; deux ou trois fois seulement, quelques-uns nous ont jeté des pierres, ou même ont tiré leurs sabres contre nous, refusant de nous vendre des alimens ou de nous fournir des animaux ; quelques coups de revolver tirés en l’air suffisaient à les mettre en fuite. Ils étaient terrifiés de nous voir, avec une arme si petite, lancer des balles aussi longtemps que nous voulions (nous le leur faisions croire), et venaient nous faire des excuses.

Quand ils en ont, ils mangent de la viande crue, comme leurs chevaux d’ailleurs, à qui ils donnent cet aliment à défaut d’orge. Mais leur principale nourriture est le zamba (farine de millet grillée), qu’ils délaient dans du thé beurré, maigre pitance avec laquelle ils vivent pourtant ; nous-mêmes, pendant ces deux mois, devons suivre à peu près le même régime ; nous trouvons peu de chose à acheter ; parfois un peu de lait, et alors c’est jour de fête. La viande de mouton est si mauvaise, nous en sommes si dégoûtés, qu’à part Bonvalot, personne n’y touche. La plupart du temps, nous ne nous nourrissons que de thé et d’une pâte faite avec de la farine de