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IV. — DU TENGRI-NOR A BATANG.

Nous allons parcourir pendant deux mois un pays d’un genre nouveau pour nous. Ce n’est plus, en effet, la steppe ondulée de cet hiver ; nous ne verrons plus les hauts plateaux si monotones, et nous ne les regrettons pas, nous descendrons à une altitude moindre (entre 2,000 et 3,000 mètres). Les flancs des montagnes se couvriront de grandes forêts de conifères, et c’est presque avec un sentiment de respect que nous reverrons la première broussaille. Privés de bois pendant trois mois, nous en comprenons encore mieux l’utilité. Le fond des vallées sera habité, parfois même cultivé. Nous ne marchons pas à tâtons, un itinéraire nous est tracé. Mais si la route est connue pour nous, elle n’en est pas meilleure, la marche est très pénible, et les obstacles naturels sont nombreux. Nous allons de l’ouest à l’est, c’est-à-dire que nous suivons une direction perpendiculaire à tous les fleuves et à leurs affluens qui se jettent dans l’Océan-Indien, et ils sont nombreux. Nous en rencontrons chaque jour, parfois même plusieurs. Quand ils se dirigent vers l’est, nous suivons la vallée, puis ils tournent au sud et nous devons les franchir.

C’est d’abord l’Ourtchou, qui, si l’on s’en rapporte aux documens chinois, doit être identifié avec la Salouen ; il est encore gelé ; nous nous aventurons à cheval sur la surface ; elle cède, et voilà nos pauvres bêtes patinant dans l’eau, forcées de se cabrera moitié pour briser la glace devant elles. Cet exercice n’a rien d’attrayant. M. Dédékens en sait quelque chose, puisqu’il tombe dans un trou avec sa monture. Il en est heureusement quitte pour un bain un peu froid.

Dans le Soktchou, affluent de l’Ourtchou, nous avons de l’eau jusqu’à la ceinture, et nos animaux perdent presque pied. La traversée du Guiom-Tchou et du Zatchou est plus facile ; ces deux rivières se réunissent à une vingtaine de kilomètres plus bas que l’endroit où nous avons traversé le Zatchou, à la ville du Tsiamdo, pour former le Mékong. Elles sont déjà larges d’une soixantaine de mètres et coulent dans un lit profond, resserré entre des collines rocailleuses. Nous laissons nos chevaux sur une rive pour prendre d’autres animaux sur le bord opposé. Le passage s’effectue sur de petits radeaux de troncs d’arbre que dirige un homme au moyen d’une rame fixée à l’arrière. Je ne peux m’empêcher de songer que dans ces mêmes eaux, sur lesquelles nous flottons, après quelques mois, nous naviguerons en bateau à vapeur pour rentrer à Saïgon.