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rabattre sur les oreilles et rappelant les coiffures des hommes d’armes du XVIIe siècle. Leur profil est grossier, leur lèvre supérieure à peine recouverte de quelques poils gris, rudes comme des crins de chats, et qui ont pourtant la prétention de passer pour une moustache. Ils portent des robes chinoises jaunes ou rouges. L’un d’eux a une vieille fourrure déjà usée et rapiécée.

Au dehors se tiennent des serviteurs ou des soldats. Les uns ont une tournure élégante qui me fait songer à des cavaliers turcs. Ils portent de petits jupons de couleur sombre, serrés au-dessous de la taille, à l’orientale ; une petite veste courte flottante, de drap brun, bordée d’une large bande claire qui forme des arabesques ; des boutons d’or arrondis ferment ce vêtement ; par-dessus un petit capuchon rouge, une étoffe grenat roulée en forme de gros turban, dans laquelle ils entortillent leur queue, leur couvre la tête.

D’autres semblent être vêtus d’une cotte de mailles. C’est une peau de bique noire, sans manches, serrée à la taille, avec une collerette sur les épaules, qu’ils mettent par-dessus leur vêtement.

Chacun, dans cette foule des serviteurs, a ses attributions. En dehors des soldats, qui ont le sabre en travers sur le ventre, et sur le dos le long fusil, terminé par deux fourches de fer, je remarque les porteurs de chapelles ; ils ont, fixés à un baudrier rouge en bandoulière, de petits reliquaires d’argent renfermant les idoles chères à leurs chefs ; d’autres ont de gros livres dont les lamas ne se séparent jamais. Puis viennent les échansons, dont la seule fonction est d’offrir à leur maître, sur une soucoupe d’argent, leur jatte taillée dans un bloc de jade, et de veiller à ce qu’elle soit toujours pleine de thé beurré ; les chanceliers qui, à toute demande, doivent présenter le cachet, et les secrétaires, portant toujours derrière l’oreille de petites tiges de bambous déjà taillées, afin que les ordres soient rapidement transcrits.

Tout ce monde est constamment en mouvement entre notre camp et le leur ; c’est que ce dernier est nombreux : il y a seize mandarins ; chacun a sa propre tente, une tente pour ses serviteurs, pour sa garde, un abri pour sa cuisine, que sais-je ! Ils ne sont pas habitués à se déplacer, et c’est toute une organisation très compliquée. La route de Lhaça est remplie par les soldats et les courriers qui portent les ordres, et par les yaks chargés de provisions. Ces derniers sont menés par des sauvages, semblables à ceux que nous avons rencontrés déjà avant le Namtso, qui sont tout étonnés de voir les honneurs dont nous sommes comblés ; ils nous prennent pour de grands personnages et nous tirent la langue avec autant de respect qu’à leurs chefs. Pour moi, j’essaie de regarder les gens venus de Lhaça et de faire connaissance avec eux ; je vais chez eux, j’interroge tout le monde et tâche de comprendre leur