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la poitrine noire ; sa tête, terminée par un véritable mufle également noir, supporte, chez le mâle, une paire de longues cornes cannelées droites, qu’il tient légèrement inclinées en avant, lorsqu’il s’enfuit au trot, son allure ordinaire.

A côté des orongos nous trouvons la petite antilope ada dont les cornes sont recourbées en arrière en forme de lyre, c’est une véritable gazelle aux allures craintives. Le mouton de montagne nous fournit un aliment excellent.


Durant toute cette partie du voyage, notre vie très uniforme est à peine troublée par les petits incidens de la route. Nous nous levons au jour, c’est-à-dire vers huit heures. Après le repas du matin, ordinairement composé de farine délayée dans de la graisse fondue, on charge les chameaux. Nos hommes mettent des gants, et, malgré cette précaution, ils ont souvent encore les mains coupées par les cordes gelées. Tout est prêt, on se met en route. Il faut aller la plus grande partie du temps à pied, nos chevaux sont épuisés et, d’un autre côté, il nous faut entretenir la circulation du sang. Le vent souffle continuellement de l’ouest ; il nous fatigue beaucoup. 20 degrés de plus de froid avec le temps calme nous seraient préférables ; notre marche est, d’ailleurs, lente : à cette altitude, on ne peut se presser, et notre chargement nous retarde encore ; nous avons chacun deux paires de bottes de feutre, pantalon, pelisse et bonnet de peau de mouton ; en outre, la tête est enveloppée dans un bashlik (capuchon de laine) qui couvre le nez et la bouche ; par-dessus cet accoutrement, notre carabine et notre revolver ; nous ne sommes pas légers, mais nous ne souffrons pas trop du froid.

Les journées de la Saint-Sylvestre et du 1er janvier sont particulièrement pénibles. Nous nous avançons sur un gravier formé de petits morceaux de quartz, de lave et de pierre volcanique. Le vent soulève le sable en colonnes parallèles, courant plus vite qu’un cheval au galop et comparables aux eaux d’une rivière qui déborde. Nous sommes totalement aveuglés ; les petits cailloux viennent nous fouetter à travers notre bashlik, et nous devons souvent nous pencher sur notre cheval pour pouvoir respirer ; nous avons les yeux, le nez et la bouche pleins de sable ; je veux marcher, et ne peux avancer que de côté comme un crabe, souvent l’on ne se voit pas à quinze pas. Les chameaux cherchent à cacher mutuellement leur nez contre la queue de celui qui est devant ; ils vont ainsi presque de front, et, poussé par le vent, le chamelier se laisse aller vers l’est ; je suis obligé de prendre la tête et de les forcer à marcher dans la vraie direction pendant que Bonvalot cherche la route ; parfois, au milieu de cette mer qui continue à courir dans le même sens, je ne vois