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saccadé ; parfois ils s’arrêtent, font une volte-face, se présentant en front comme pour nous dévisager à loisir, puis reprennent leur allure désordonnée. L’un d’eux a-t-il été abattu par une de nos balles, ses compagnons reviennent tourner autour de lui comme pour lui demander pourquoi il ne les suit plus.

Plus majestueux sont les yaks sauvages. On les voit de loin, énormes masses noires se détachant sur la teinte uniforme du gazon. Ils sont généralement par petites troupes, établis dans un herbage qui leur permet de vivre. Lorsqu’on les approche, ils s’enfuient au galop en agitant en l’air comme un panache leur longue queue chevelue. Parfois on en rencontre d’isolés : ce sont alors des taureaux solitaires que leur âge avancé a fait exclure de tout troupeau et qui s’en consolent en broutant philosophiquement.

Quand ils ont des petits, ils se réunissent en grand nombre. Leurs manœuvres sont alors fort curieuses à observer. Nous sommes témoins de ce spectacle : un matin, un de nos hommes, Isaa, en revenant de chercher les chameaux, nous annonce avoir aperçu des troupeaux de yaks sur les collines ; voilà tout le camp dans la plus grande émotion à cette nouvelle : des troupeaux ! ce sont les hommes ! et on se consulte déjà l’un l’autre pour savoir de quelle manière les aborder. Dans l’après-midi, nous avons une tourmente de neige, qui se dissipe lorsque nous allons camper ; nous apercevons alors sur le coteau, devant nous, environ 200 yaks. Sont-ils domestiques ? sont-ils sauvages ? Tandis que nos hommes discutent cette question en plantant la tente, nous partons, M. Dédékens et moi, pour nous rendre compte de ce qui en est. Arrivés à 500 mètres, voici ce que nous voyons : dans un petit creux, des vaches et des veaux paissant tranquillement ; sur les hauteurs, des taureaux par groupes de trois ou de quatre font sentinelle. A notre vue, ils redescendent au galop entre les femelles et nous et viennent se placer sur deux rangs, la tête baissée, agitant leur queue avec furie. Deux coups de carabine mettent alors le troupeau en fuite ; quelques taureaux à l’avant servent de guide, tandis que les autres galopent sur les côtés ou restent par derrière pour faire serrer les femelles ou, d’un coup de corne, rentrer dans les rangs le veau qui s’en écarte. Le troupeau a ainsi vite disparu, laissant sur le sable une large piste. Nous sommes étonnés de voir des animaux sauvages (car c’en est) manœuvrer avec une telle entente.

Sur ces plateaux, les yaks étaient pour nous une providence. C’étaient, en effet, leurs excrémens qui nous servaient d’unique combustible.

Avec les yaks, l’animal propre à ces hauteurs est l’orongo (antilope Hodgsoni) ; rien de plus élégant que cette antilope aux formes ramassées, au pelage d’un gris approchant du blanc, avec