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mois, sont allés chasser des chameaux sauvages. Ils rapportent les peaux de deux de ces animaux coupées en morceaux. C’est un excellent cuir pour les chaussures.


III. — DU LOB-NOR AU TENGRI-NOR.

Encore quelques jours à Tcharkalik, et nous nous mettons de nouveau en marche, le 17 novembre. Notre caravane s’est modifiée. Nos Russes sont retournés avec les collections que nous avons déjà faites, et nous les avons remplacés par des musulmans engagés à Korla et au Lob-Nor. Ce sont, pour la plupart, des aventuriers, des gardiens de troupeaux ou des chercheurs d’or. C’est ce qu’il nous faut pour le genre de voyage que nous allons entreprendre. Nous serons d’ailleurs très contens de leurs services. Notre troupe se compose ainsi de dix hommes, outre nous trois. Nous avons quarante chameaux. Quelques chasseurs du pays nous accompagneront pendant une quinzaine de jours ; avec les ânes qu’ils emmènent, nous soulagerons nos chameaux. Nous sommes prêts à affronter le froid ; toutes les précautions ont été prises : feutres, cuir, touloupes, peaux de mouton, rien ne manque. Nous ne craignons pas la faim non plus : M. Bonvalot a fait préparer environ deux mille livres de pain, qui représentent une provision de six mois. Tous les habitans de Tcharkalik ont été mis à contribution : ce pain a été cuit avec de la graisse et du sel, c’est-à-dire dans les meilleures conditions pour se conserver le plus longtemps et être le plus nourrissant possible. Un sac a été rempli de sel, dégagé au préalable de son salpêtre par une cuisson exécutée dans la marmite municipale de Tcharkalik. Nous emportons des provisions de graisse enfermée dans des estomacs de moutons, quelques barriques de thé, de la farine pour les chameaux, de l’orge pour les chevaux. C’est beaucoup, semble-t-il ; mais on ne sait ce qui peut arriver. Devant nous se dresse la chaîne de l’Altyn-Tagh, semblable à un mur géant. C’est la première enceinte du sanctuaire du Thibet. Qu’allons-nous trouver derrière ? L’avenir seul nous l’apprendra. En tout cas, c’est maintenant que va commencer la partie aventureuse et difficile du voyage. Les habitans du Lob-Nor nous ont donné peu de renseignemens. Ils nous ont seulement annoncé que nous ne pourrions continuer au sud et que nous serions forcés de revenir sur nos pas. « Essayons toujours, nous répète M. Bonvalot ; passmatrim, voyons. » Notre projet est de gagner le « lac qui ne se gèle pas » en franchissant les chaînes de l’Altyn-Tagh et du Chiman-Tagh. Ce lac atteint, au lieu de tourner vers l’est, du côté de la vallée de Bakalik, comme l’ont fait Prjévalsky et Carey,