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au galop devant l’incendie. Mon compagnon avait présent à la mémoire que, quelques jours auparavant, nous avions rencontré un Mogol, l’œil enlevé et la figure à moitié déchirée par un ours. L’indigène avait eu au moins la consolation d’achever son ennemi à coups de couteau dans une lutte corps à corps.

Nous montons toujours, les forêts disparaissent peu à peu, les vallées s’élargissent ; les collines qui les bordent, formées, d’un côté, de rochers nus, de l’autre couvertes de neige, semblent plus basses ; les ruisseaux sont gelés. Nous commençons ici à faire connaissance avec ces plateaux que nous retrouverons pendant de longs mois au Thibet.

Si le paysage est monotone, en revanche, il y a de jolis effets de couleurs ; des couchers de soleil donnant des tons rosâtres sur les rochers, bleu clair sur la neige. D’immenses cornes d’ovis Poli se profilent parfois comme des tire-bouchons géans. Nous approchons pour ne trouver, hélas ! que des squelettes. Notre caravane effraie ces animaux, qui se cachent dans la montagne.

Un incident vient rompre l’uniformité de la route : c’est la mort d’un de nos chameaux, qui s’est mis à enfler subitement et qu’il a fallu achever d’un coup de carabine.

Deux cols à plus de 4,000 mètres nous ont fait passer du bassin de l’Ili dans celui du lac de Karachar. Nous souffrons des premiers froids : 18 degrés au-dessous de zéro, dans la nuit, me semblent une température épouvantable, aussi ne sommes-nous pas fâchés, après la passe de Narat, de nous engager dans la gorge rocheuse de Kapchigai, pour redescendre.

La pêche et la chasse nous procurent ici quelques distractions ; dans les torrens, je prends un poisson à tête plate dont la chair est très fine ; dans les rochers, il y a une abondance fabuleuse de perdreaux, d’une espèce plus grande que celle de France et qui ont un fer à cheval sur la poitrine : nous ne les trouvons que dans la montagne et nous les quittons volontiers pour tomber dans une plaine sablonneuse et pierreuse qui rappelle beaucoup certains coins d’Egypte. Nous franchissons les différens bras du Youldouz, ayant souvent de l’eau jusqu’au poitrail de nos chevaux, et, le 5 octobre, nous arrivons à Korla : une vraie oasis avec ses champs cultivés (riz, maïs, coton), ses petits canaux, ses grandes allées ombragées de saules et ses vergers qui ne laissent pas de nous causer un certain plaisir.

La ville elle-même (de 2,000 habitans) rappelle toutes les villes de l’Orient, aux rues étroites, bordées de maisons bâties en terre et surmontées de terrasses avec un bazar pour chaque nationalité (Chinois, Tarantchees, Dzoungares).

Nous avons déjà parcouru un peu plus de 700 kilomètres ; aussi