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Nous avons deux tentes en toile double : l’une pour nous, l’autre pour nos hommes. Avec leurs piquets de fer et les bâtons, elles ne font pas une charge de chameau. Nous n’oublions pas les outils dont on ne peut se passer : pelles, pioches, clous, haches, marteaux, etc.

Notre batterie de cuisine comprend une marmite avec un trépied, et trois grands pots à thé en cuivre, chacun d’une contenance de plusieurs litres.

Dix jours nous ont suffi à terminer ces préparatifs et à acheter vingt chameaux, quinze chevaux, de petits chevaux kirghizes habitués aux longues marches. Les bagages sont vite chargés, les chevaux facilement sellés, et c’est avec un sentiment de vrai plaisir que, le 1er septembre, nous voyons s’ébranler notre caravane.

Pourtant ce n’est qu’un faux départ ; nous ne pourrons nous considérer comme vraiment en route qu’après avoir dépassé Kouldja, où se trouve un consulat russe. Six étapes à travers un pays plat, peu cultivé, souvent couvert de roseaux, où les faisans abondent. nous conduisent à cette ville. Nous sommes en Chine. Trois jours auparavant, nous avons franchi la frontière, traversant un poste d’une quinzaine de soldats chinois commandés par un petit mandarin à bouton de cristal. Aucune difficulté ne nous a été faite. Les autorités russes nous avaient délivré, conformément au traité de Kouldja, les passes qui sont accordées aux marchands russes désirant faire du commerce dans le périmètre convenu. A Kouldja, nous achetons les quelques objets dont nous avions senti l’absence pendant ces six jours de route. Puis nous serrons la main aux derniers Européens que nous verrons pendant de longs mois. Les Russes nous offrent un dîner d’adieu. Nous trouvons parmi eux, d’un côté, des vœux sincères, mais de l’autre un certain sentiment d’incrédulité. Nous leur avons en effet annoncé que nous partions pour le Tonkin. Ils ne connaissent pas assez M. Bonvalot ; ils voient la grandeur de l’entreprise à laquelle nous allons nous consacrer : « Trouver une route par terre menant au Tonkin, traverser l’ancien continent dans sa longueur, joindre les possessions russes aux possessions françaises, c’était, nous disaient-ils, un projet hardi. Mais, pour l’entreprendre, il fallait des tentes de feutre, des guides, une escorte, que sais-je ? Nous étions mal équipés ; M. Bonvalot était un voyageur, mais connaissait-il la Chine, la redoutable Chine ? Quant à moi, j’étais animé de bons sentimens, mais je ne savais pas voyager. »

Ceux qui nous parlent dans ce sens ne se rendent pas compte du tour de force accompli par l’explorateur du Pamir.

Bonvalot est, cela va sans dire, peu touché des observations