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141 millions, le total déposé au Trésor, comme premier versement ou garantie de souscription, s’est élevé à 2 milliards 340 millions. C’est superbe, merveilleux, et il faut reconnaître tout d’abord, dans cette levée extraordinaire de capitaux, sur l’appel de l’Etat, une démonstration saisissante de l’énorme accumulation de richesses que recèle notre pays, de la rapidité et de la puissance de formation de notre épargne nationale, enfin de la confiance absolue qu’inspire le crédit de la France.

Mais il y a bien aussi, pourquoi ne pas le déclarer hautement, dans les chiffres atteints par la souscription, une part de fantasmagorie. L’emprunt a été couvert seize fois. Mais il n’entre dans l’idée de personne qu’il y ait eu de la part des souscripteurs le moindre désir réel d’obtenir ce qui était demandé. Il était entendu que l’on n’aurait que le dixième ou le vingtième du montant nominal de la souscription; celle-ci a donc été artificiellement enflée dans cette même proportion. En fait, ce colossal succès a démontré que dans notre pays, et principalement à Paris, il était possible de mobiliser pour un emploi de quelques jours une somme de près de 2 milliards 1/2. On a porté assurément aux guichets ouverts tout ce qui était disponible.

Certaines souscriptions sont à cet égard bien significatives. La corporation des agens de change de Paris a demandé 90 millions de rente, plus de trois fois l’emprunt, et déposé 455 millions. La Banque de Paris a porté au Trésor 203 millions, le Crédit foncier de 150 à 200 millions, le Crédit lyonnais le chiffre, presque fabuleux, de 297 millions, le Comptoir national d’escompte plus de 100 millions, la Société générale près de 100 millions, le Crédit industriel 86 millions, etc.

Le résultat est que l’emprunt n’est nullement souscrit par la petite ou même par la moyenne épargne, qu’il est aux mains de la spéculation, que tout ce mouvement de capitaux a eu en partie pour objet l’encaissement aisé et rapide d’une prime qui a varié de 0 fr. 90 à 1 fr. 20, et qu’il va falloir toute une longue campagne pour effectuer un classement réel et sérieux du nouveau fonds dans les portefeuilles où il est destiné à rester une fois qu’il y sera entré.

L’Etat n’en a pas moins, et très brillamment, obtenu ce qu’il voulait, la prise ferme par le public d’une masse d’inscriptions de rente atteignant un montant effectif en capital de 869 millions, et cela à un prix qui, il y a un an seulement, eût paru fantastique.

Le dernier emprunt en 3 pour 100 avait eu lieu en 1886; il portait sur 504 millions et le prix d’émission était 79.80. Quel chemin parcouru depuis !

Comme il arrive fréquemment, la tenue de la rente, le lendemain de l’événement, a été en contradiction avec les prévisions reposant sur les données de la logique générale. La Bourse a, il est vrai, une