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deur croissante, à laquelle le pays jusqu’ici semble avoir quelque peine à s’associer.

Déjà la bataille a commencé le mois dernier à l’occasion du renouvellement partiel des conseils provinciaux. Ce n’était sans doute qu’une première escarmouche qui gardait encore un caractère local ; elle n’était pas cependant sans signification et sans importance, puisqu’une partie du sénat est élective, et qu’en Espagne comme en France les conseils provinciaux, aussi bien que les conseils municipaux, concourent, avec quelques autres corporations, au choix de cette fraction de l’assemblée sénatoriale : il y avait donc un intérêt évident. En dépit de tout, le fait le plus frappant, dans cette première élection, qui aura son influence sur la nomination des sénateurs, c’est l’abstention des masses : près des trois quarts des électeurs ont négligé d’aller exercer leurs nouveaux droits. Tel qu’il est, ce premier scrutin a donné sans doute quelques succès aux diverses oppositions, aux libéraux à Madrid, aux républicains dans le midi, aux carlistes dans le nord. Au demeurant, le gouvernement a gardé ou reconquis l’avantage dans un assez grand nombre de conseils, à Valence, à Grenade, à Murcie, à Oviédo, à Séville, même à Barcelone. C’est de tradition au-delà des Pyrénées : les conseils locaux vont le plus souvent aux libéraux quand le ministère est libéral, ils reviennent aux conservateurs quand le ministère est conservateur et a eu le temps de faire sentir son action. Au fond, ce scrutin du mois dernier n’est qu’un prélude plus ou moins significatif de la vraie bataille qui se prépare pour le renouvellement du congrès et d’une partie du sénat. C’est maintenant décidé. Les cortès nouvelles se réuniront le 4 mars, les élections sont fixées au 1er février. Il n’y a plus que quelques jours, et pendant ces quelques jours la lutte va s’animer singulièrement, au moins entre les chefs de partis qui conduisent la campagne. Elle peut devenir d’autant plus vive que tous les partis, conservateurs, républicains de toutes les nuances, socialistes, carlistes, libéraux, semblent décidés à se jeter dans la mêlée pour essayer de secouer et de capter cette masse inerte et énigmatique du suffrage universel.

Que sortira-t-il de ce scrutin espagnol du 1er février ? Le gouvernement garde sans doute bien des chances de succès, par cela même qu’il est le gouvernement. Il n’a peut-être pas autant de liberté d’action qu’autrefois, depuis que la dernière loi électorale a placé auprès de lui une sorte de junte indépendante, qui est comme un tribunal supérieur chargé de le contrôler et de surveiller l’application du suffrage universel. Il n’a pas moins, comme ceux qui l’ont précédé, toutes les influences officielles, et il vient de s’assurer une chance de plus, par une mesure économique toute récente qui est dans ses traditions, dans ses opinions, mais qui répond aussi à un instinct assez général au-delà des Pyrénées, et même au vœu de bien des libéraux. Par une série