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tine, le temps de se faire aimer et respecter du pays, de se populariser par sa droiture et sa bonne grâce. L’art du premier ministre de cette régence si cruellement improvisée a été d’atténuer autant que possible une crise qui pouvait être redoutable, de profiter de la trêve des partis, de désarmer les hostilités révolutionnaires en montrant que cette monarchie d’un enfant et d’une femme était compatible avec tous les progrès libéraux. M. Sagasta a réussi, non sans peine quelquefois, à faire accepter une série de réformes civiles ou politiques dont le rétablissement du suffrage universel a été le couronnement. Il s’est maintenu jusqu’au jour où il a été évident que son règne était épuisé et compromis par les divisions de ses amis, de ses alliés de toutes les nuances libérales, que le moment d’une évolution nouvelle était arrivé. C’est une autre phase qui a commencé avec l’avènement du ministère conservateur de M. Canovas del Castillo, qui a repris le pouvoir, qui l’exerce encore aujourd’hui au-delà des Pyrénées.

Le mérite de M. Canovas del Castillo a été d’entrer simplement, sans arrière-pensée, dans cette situation nouvelle. Premier ministre au moment de la mort du roi Alphonse XII, il s’était prêté lui-même, avec autant d’abnégation que de prévoyance, à la formation d’un ministère libéral dans l’intérêt de la monarchie. Il s’était conduit en homme d’état, et depuis, du moins jusqu’à ces derniers temps, il n’avait pas cessé de garder une prudente réserve à l’égard de M. Sagasta. Il pouvait rester un adversaire, il a pu combattre quelques-unes des lois proposées par le dernier cabinet, il s’abstenait de toute contestation trop ardente de parti, de tout ce qui aurait pu créer des difficultés à la régence. Le jour où la coalition qui formait la majorité ministérielle a commencé à se dissoudre, où les divisions libérales rendaient le pouvoir à peu près impossible à M. Sagasta, M. Canovas del Castillo était naturellement désigné pour reprendre la direction des affaires. C’était le jeu régulier des partis dans un pays constitutionnel, et ici encore, par ses déclarations, par le choix de ses collègues, le nouveau président du conseil a eu le soin d’éviter toute apparence de réaction systématique et violente. Il a loyalement accepté l’héritage des lois libérales du dernier ministère, et par une combinaison qui n’avait plus peut être rien d’imprévu depuis quelque temps, c’est M. Canovas del Castillo qui se trouve avoir à présider à la première application du suffrage universel rétabli par M. Sagasta. En réalité, à part toutes les autres questions de diplomatie ou d’intérêt commercial qui occupent aujourd’hui tous les gouvernemens, c’est cette application du suffrage universel qui reste à Madrid la grande affaire du ministère conservateur, surtout du ministère de l’intérieur, M. Francisco Silvela. De ce scrutin, en effet, dépend la direction prochaine de la politique de l’Espagne. Le ministère s’y prépare activement depuis qu’il est au pouvoir ; les partis s’y préparent, eux aussi, avec une ar-