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tique prétend-on dégager de cette situation dont le dernier scrutin sénatorial n’est qu’un incident ?

La majorité, tous les gouvernemens, tous les régimes l’ont eue successivement, sans en être plus avancés, sans être plus sûrs du lendemain. Est-ce que la monarchie de Juillet n’avait pas la majorité, l’assentiment du pays paisible et laborieux, à la veille de cette révolution de février, qui contenait en germe un avenir de désastres ? Est-ce que le dernier empire lui-même n’avait pas son plébiscite, une majorité qui touchait presque à l’unanimité, la veille du jour où il se précipitait dans cette effroyable aventure qui a coûté à la France son intégrité et son prestige ? L’erreur de tous les gouvernemens est de croire que leur unique affaire est de gagner des voix, de se délivrer de leurs adversaires, de les exclure des assemblées, des conseils, des fonctions, d’avoir la majorité et de s’en servir. Ils ne veulent pas voir que le danger, pour eux, n’est pas dans les hasards d’un vote ni dans la force de leurs adversaires, puisque c’est un phénomène à peu près invariable, depuis un siècle, que les régimes ne périssent pas par leurs adversaires ; le danger, le vrai danger pour eux est dans leurs faiblesses, quelquefois dans leurs folies, surtout dans l’illusion que donne un succès, dû souvent à un état particulier des esprits. Et c’est là précisément la question, aujourd’hui. Évidemment, les républicains ont la majorité. Ils ont la faveur des circonstances ; ils n’ont certes pas beaucoup à craindre de leurs adversaires. Ce qui les menace, ce n’est pas une opposition préméditée et habilement conduite contre la république ; le vrai danger pour eux est en eux-mêmes, dans leurs passions exclusives, dans leurs préjugés, dans leurs faux calculs, dans leurs abus de domination, dans un esprit de secte obstiné à défier les croyances religieuses, dans l’instabilité qu’ils créent, par une altération systématique de toutes les garanties constitutionnelles. Ah ! sans doute, à travers tout, le pays se soutient et vit de sa vie propre, toujours actif à féconder la terre et à multiplier ses industries. Il ne marchande pas ses votes quand on les lui demande, surtout en lui faisant des promesses qu’on oubliera le lendemain. Si on fait un emprunt nouveau, comme celui qu’on ouvrait hier, cet emprunt, nécessité par des fautes financières, est couvert dix-sept fois : quatorze milliards vont s’offrir au Trésor ! Cela signifie qu’au-dessous et en dehors des partis qui s’agitent stérilement, il y a toujours la masse nationale qui reste laborieuse et productive, une France qui garde la puissance de son crédit. Le danger de la fausse politique n’existe pas moins, en dépit de toutes les apparences et des majorités officielles.

Chose curieuse ! Il y a moins de deux ans, une crise des plus graves, des plus violentes, a éclaté, une crise qui pouvait être mortelle, non-seulement pour la république, mais pour les libertés, pour la dignité, pour la sécurité de la France. S’il y a un fait avéré, c’est que cette