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que le marquis d’Alein, le père de Didier, était mort fou après quinze ans d’une affreuse maladie.

C’est la vérité; mais de cette vérité la marquise n’a jamais voulu faire à son fils la confidence douloureuse et qui pouvait, qui pourrait encore être fatale. Aussi ne dira-t-on rien à Didier ; on ne lui parle pas de rompre, mais de remettre le mariage, et, pour gagner du temps, on couvre d’un prétexte insignifiant la véritable et terrible cause.

Au second acte, la marquise et Didier sont revenus chez eux, avec le fidèle Hornus. Le jeune homme a tout préparé, tout embelli dans cette demeure où il espère encore que viendra bientôt la bien-aimée. Une autre vient, hélas! la cousine Estelle, sotte et cruelle messagère de malheur. Elle rapporte à Didier la bague de Madeleine, qui ne veut plus se marier, qui n’aime plus. Atterré d’abord, le jeune homme se redresse, s’emporte, et naturellement les yeux prévenus de la vieille fille ne voient qu’un accès de folie dans cet accès de désespoir. Demeuré seul avec sa mère, Didier l’interroge éperdument. Elle savait tout et ne lui a rien dit. La cause ! la cause ! Elle ne peut ignorer la cause d’un revirement qui, chez Madeleine au moins, ne saurait être une trahison. Car Estelle a menti; il est impossible que Madeleine n’aime plus son Didier, qu’elle se reprenne après s’être sinon donnée, du moins promise de tout cœur. Y a-t-il donc une tache sur nous ? demande le jeune homme frémissant; porterais-je le poids d’une honte héréditaire ? Et la mère, torturée, le rassure et sauve de ses soupçons l’honneur intact de leur nom.

Ce qu’on cache à Didier, Madeleine le lui dira sans doute. La jeune fille s’est retirée dans le couvent où elle a été élevée; c’est là qu’il ira l’interroger ; si elle ne l’aime plus, c’est à elle, mais à elle seule de le lui dire. Elle le lui dit en effet, à la fin du troisième acte, mais si bas, avec un tel effort, qu’il peut à peine l’en croire. Certaines paroles d’Hornus lui reviennent à la mémoire : Madeleine est riche; si M. de Castillan a brisé le mariage, c’est qu’il veut lui-même épouser sa pupille. Voilà ce que devine Didier, ce dont il accuse hautement M. de Castillan. Mais celui-ci, pour toute réponse, lui jette la révélation fatale : « Monsieur, on ne se bat pas avec des hommes comme vous ; on les douche et on les enferme. Vous tenez de votre père ; vous êtes fou. »

Enfin, Didier connaît l’obstacle; il le franchira. L’étude, patiente et scrupuleuse comme une enquête, de la maladie paternelle, les livres et les médecins consultés, toutes les données de la science écartent de son front la menace incertaine d’une hérédité problématique. Il ne se sent pas moins sûr de son esprit que de son cœur; il épousera Madeleine, que sa majorité vient d’affranchir.