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bonheur et de plaisir. Vous y êtes toujours de moitié, mon cher cœur, et une fois que nous serons réunis, on ne pourra plus nous séparer et nous empêcher de goûter ensemble, et l’un par l’autre, la douceur d’aimer et la plus délicieuse et la plus tranquille félicité. Adieu, mon cher cœur, je voudrais bien que ce plan pût commencer dès aujourd’hui. Ne vous conviendra-t-il pas? Présentez mes plus tendres respects à Mme d’Ayen ; embrassez mille fois la vicomtesse et mes sœurs. Adieu! adieu! Aime-moi toujours et n’oublie pas un instant le malheureux exilé qui pense toujours à toi avec une nouvelle tendresse. »

On nous pardonnera d’avoir reproduit cette lettre un peu longue; nous n’avons pas résisté au désir de faire connaître chez La Fayette cette âme pleine d’amour contenu, de gaité française, de santé morale et de bon sens. La maturité d’esprit est déjà complète dans ce jeune homme que les événemens et l’élévation des sentimens transforment jour par jour.

Sa correspondance militaire avec Washington, dans cette année 1778, est remarquable de fermeté de caractère et aussi de sagesse précoce.

Sa lettre à Mme de La Fayette arrivait à propos : le premier fruit de leur union, cette petite Henriette tant aimée, mourait, et la santé de la mère donnait à Mme d’Ayen de cruelles préoccupations.

Le 22 janvier, il fut résolu par le congrès qu’on entrerait dans le Canada; La Fayette fut choisi pour commander l’expédition. On voulait tenter son ambition. En effet, Washington reçut un pli du ministre de la guerre renfermant pour La Fayette un diplôme de commandant en chef, avec ordre d’aller à Albany recevoir les instructions du congrès. Washington le lui remit sans se permettre une réflexion. L’occasion était solennelle. La Fayette n’hésita pas : il déclara sur-le-champ aux commissaires du congrès qui se trouvaient en ce moment au camp : «Qu’il n’accepterait jamais aucun commandement indépendant du général et que le titre de son aide-de-camp lui paraissait préférable à tous ceux qu’on pourrait lui donner[1]. »

Il écrivit ensuite au président dans le même sens, ajoutant qu’il ne voulait être qu’un officier détaché par Washington ; qu’il lui adresserait ses rapports, et que les lettres reçues par le bureau de la guerre ne seraient que des duplicata. Ces conditions, qui firent le plus grand honneur au caractère de La Fayette, furent acceptées. Quant à l’expédition du Canada, entreprise en plein hiver, sans vivres, sans magasins, sans traîneaux, il eut la sagesse d’y renoncer. On fut inquiet à Georgetown, résidence momentanée

  1. Fragmens de divers manuscrits. — Lettre du 10 mars 1778. — Mémoires t. Ier.