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donner raison à tout ce monde-là. Si je pars, beaucoup de Français utiles ici suivront mon exemple. Le général Washington serait vraiment malheureux si je lui parlais de partir. Sa confiance en moi est plus grande que je n’ose l’avouer à cause de mon âge ; dans la place qu’il occupe, on peut être environné de flatteurs ou d’ennemis secrets ; il trouve en moi un ami sûr dans le sein duquel il peut épancher son cœur et qui lui dira toujours la vérité... D’ailleurs, après un petit succès dans le Jersey, le général, par le vœu unanime du congrès, m’a engagé à prendre une division dans l’armée et à la former à ma guise, autant que mes faibles moyens le pourraient permettre. Je ne devais pas répondre à ces marques de confiance en lui demandant ses commissions pour l’Europe. Voilà une partie des raisons que je vous confie sous le secret... Je vous ai écrit, il y a peu de jours, par le célèbre M. Adams. Il vous facilitera les occasions de me donner de vos nouvelles. Vous en aurez reçu auparavant que je vous envoyai dès que j’eus appris vos couches. Que cet événement m’a rendu heureux, mon cher cœur! j’aime à vous en parler dans toutes mes lettres, parce que j’aime à m’en occuper à tous momens. Quel plaisir j’aurai à embrasser mes deux pauvres petites filles et à leur faire demander mon pardon à leur mère ! Vous ne me croyez pas assez insensible et en même temps assez ridicule pour que le sexe de notre nouvel enfant ait diminué en rien la joie de sa naissance, Notre caducité n’est pas au point de vous empêcher d’en avoir un autre sans miracle. Celui-là, il faudra absolument que ce soit un garçon. Au reste, si c’est pour le nom qu’il fallait être fâché, je déclare que j’ai formé le projet de vivre assez longtemps pour le porter bien des années moi-même avant d’être obligé d’en faire part à un autre. C’est à M. le maréchal de Noailles que je dois cette nouvelle. J’ai une vive impatience d’en recevoir de vous………………..

Plusieurs officiers généraux font venir leurs femmes au camp. Je suis bien envieux, non de leurs femmes, mais du bonheur qu’ils ont d’être à portée de les voir. Le général Washington va se déterminer à envoyer chercher la sienne. Quant à MM. les Anglais, il leur est arrivé un renfort de 300 demoiselles de New-York, et nous leur avons pris un vaisseau plein de chastes épouses d’officiers qui viennent rejoindre leurs maris. Elles avaient grand’peur qu’on ne voulût les garder pour l’armée américaine.

« Ne pensez-vous pas qu’après mon retour nous serons assez grands pour nous établir dans notre maison, y vivre heureux ensemble, y recevoir nos amis, y établir une douce liberté et lire les gazettes des pays étrangers sans avoir la curiosité d’aller voir nous-mêmes ce qui s’y passe? J’aime à faire des châteaux en France de