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des Américains ne fut si critique. Le papier-monnaie, contrefait par les Anglais, était discrédité. On craignait d’établir des taxes. On pouvait encore moins les lever. Habits, shakos, chemises, tout manquait aux malheureux soldats. Les provisions de l’armée faisaient défaut des jours entiers, et la patiente vertu des officiers et de leurs hommes était un miracle, à chaque instant renouvelé. Plus la situation était critique, plus la discipline devint nécessaire. Dans ses surveillances de nuit au milieu des neiges, La Fayette eut à faire casser quelques officiers négligens.

Il voulut être plus simple, plus frugal, plus austère qu’aucun autre. Élevé mollement, il changea tout à coup de vie, et son tempérament se plia aux privations comme aux fatigues. Pour surcroît de malheur pour les États-Unis, tout un parti était hostile à Washington. Très attaché au général en chef, La Fayette ne balança pas. Il repoussa les avances des ennemis de ce grand citoyen. Il le voyait souvent. « Je n’ai pas recherché cette place, disait-il à La Fayette ; si je déplais au peuple, je m’en irai, mais jusque-là, je résisterai à l’intrigue. »

Il passait l’hiver près de lui, au camp de Valley-Forge, et le 6 janvier 1778, il écrivait à Mme de La Fayette :

« Quelle date, mon cher cœur, et quel pays pour écrire au mois de janvier! c’est dans un camp, c’est au milieu des bois, c’est à 1,500 lieues de vous que je me vois enchaîné au milieu de l’hiver. Il n’y a pas encore bien longtemps que nous n’étions séparés des ennemis que par une petite rivière ; à présent même, nous en sommes à 7 lieues, et c’est là que l’armée américaine passera l’hiver sous de petites baraques qui ne sont guère plus gaies qu’un cachot... De bonne loi, mon cher cœur, croyez-vous qu’il ne faille pas de fortes raisons pour se déterminer à ce sacrifice? Tout me disait de partir, l’honneur m’a dit de rester et vraiment quand vous connaîtrez en détail les circonstances où je me trouve, où se trouve l’armée, mon ami qui la commande, toute la cause américaine, vous me pardonnerez, mon cher cœur, vous m’excuserez même et j’ose presque dire que vous m’approuvez... Outre la raison que je vous ai dite, j’en ai encore une autre que je ne voudrais pas raconter à tout le monde, parce que cela aurait l’air de me donner une ridicule importance. Ma présence est nécessaire dans ce moment-ci à la cause américaine plus que vous ne le pouvez penser : tant d’étrangers qu’on n’a pas voulu employer, ou dont on n’a pas voulu ensuite servir l’ambition, ont fait des cabales puissantes. Ils ont essayé par toute sorte de pièges de me dégoûter de cette révolution et de celui qui en est le chef; ils ont répandu tant qu’ils ont pu que je quittais le continent. D’un autre côté, les Anglais l’ont dit hautement, je ne peux pas en conscience