Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/449

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa santé était fort ébranlée. Pour l’éloigner de toutes les fausses nouvelles, Mme d’Ayen conduisit Mme de La Fayette chez M. d’Aguesseau, en Bourgogne, et de là chez la comtesse Auguste de La Marck, à Raismes[1].

Une autre lettre de son mari (1er octobre) vint la rassurer. Le congrès avait quitté Philadelphie pour se rassembler derrière la Susquehannah. Lord Cornwallis allait entrer dans la capitale. Un bateau porta La Fayette à Bristol. De là, il fut conduit à Bethléem, chez les frères Moraves. C’est de cet asile de paix qu’il avait écrit à sa femme. Toutes ces lettres font aimer l’homme, toutes sont intéressantes :

« Je vous ai écrit, mon cher cœur, le 12 septembre, c’est que le 12 est le lendemain du 11, et pour ce 11 là, j’ai une petite histoire à vous raconter. A la voir du beau côté, je pourrais vous dire que des réflexions sages m’ont engagé à rester plusieurs semaines dans mon lit à l’abri da danger. Mais il faut vous avouer que j’y ai été invité par une légère blessure que j’ai attrapée je ne sais comment. C’était la première affaire où je me trouvais ; ainsi voyez comme elles sont rares. C’est la dernière de la campagne, du moins la dernière grande bataille, suivant toute apparence, et s’il y avait quelque autre chose, vous voyez bien que je n’y serais pas. En conséquence, mon cher cœur, vous pouvez être bien tranquille. J’ai du plaisir à vous rassurer, en vous disant de ne pas craindre pour moi, je me dis à moi-même que vous m’aimez, et cette petite conversation avec mon cœur lui plaît fort, car il vous aime plus tendrement qu’il n’a jamais fait.

« Je n’eus rien de plus pressé que de vous écrire le lendemain de cette affaire. Je vous disais bien que ce n’est rien, et j’avais raison ! Tout ce que je crains, c’est que vous n’ayez pas reçu ma lettre...

« Mais parlons donc de cette blessure, elle passe dans les chairs, ne touche ni os ni nerfs. Les chirurgiens sont étonnés de la promptitude avec laquelle elle guérit. Ils tombent en extase toutes les fois qu’ils me pansent et prétendent que c’est la plus belle chose du monde...

« Voilà, mon cher cœur, l’histoire de ce que j’appelle pompeusement ma blessure pour me donner des airs et me rendre intéressant.

« A présent, comme femme d’un officier général américain, il faut que je vous fasse votre leçon. On vous dira : « Ils ont été battus. » Vous répondrez : « C’est vrai ; mais entre deux armées égales en nombre et en plaine, de vieux soldats ont toujours de l’avantage

  1. Vie de la duchesse d’Ayen, p. 60.