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Ségur d’user de son influence sur son ami pour échauffer sa froideur, le réveiller de son indolence, et pour communiquer un peu de flamme à son caractère, n’en revenait pas lorsqu’il apprit tout à coup que ce jeune sage de dix-neuf ans, emporté par la passion de la gloire, voulait franchir l’océan pour combattre en faveur de la liberté américaine.

Le gouvernement français, qui désirait l’affaiblissement de la puissance de l’Angleterre, allait être insensiblement entraîné par cette opinion libérale qui se déclarait avec tant de vivacité. Il laissait donner par la marine marchande des secours en armes, en munitions et en argent aux insurgens. Il laissait Beaumarchais faire ses envois de fusils, et quand l’ambassadeur d’Angleterre se plaignait à notre cour, elle niait les faits, ordonnait le déchargement des objets de contrebande et chassait de ses ports les corsaires américains. Notre gouvernement s’aveuglait au point de croire que ses démarches secrètes ne seraient pas aperçues. Les voiles dont il se couvrait devenaient de jour en jour plus transparens.

Bientôt on vit arriver à Paris les députés américains, Sileas Deane et Arthur Lee. Le docteur Franklin vint les rejoindre peu de temps après.

Il serait difficile d’exprimer avec quelle faveur furent accueillis en France, au sein d’une vieille monarchie, ces envoyés d’un peuple en insurrection. Tous les mémoires du temps en font foi. Les commissaires du congrès n’étaient pas encore reconnus officiellement comme agens diplomatiques. Ils n’avaient pas obtenu d’audience de Louis XVI, et cependant on voyait chaque jour accourir dans leur demeure, les hommes les plus distingués et les plus en renom, philosophes, savans, littérateurs. Nos jeunes officiers s’empressaient de leur côté de questionner les commissaires américains sur la situation de leurs affaires et sur leurs moyens de défense. Leurs milices encore inexpérimentées, novices dans le métier des armes, venaient d’éprouver des revers successifs, devant la solidité et la tactique des troupes anglaises. Sileas Deane et Arthur Lee ne dissimulaient pas que le secours de quelques officiers instruits leur était indispensable. Sans doute, l’attrait des périls et l’amour de l’indépendance avaient déjà attiré en Amérique plusieurs volontaires européens, entre autres deux Polonais dont l’histoire a conservé les noms, Pulawski et Kosciusko, mais on juge de quelle importance eût été pour la cause américaine l’adhésion franche et complète de vrais officiers français appartenant aux premières familles du royaume. Cette adhésion le marquis de La Fayette, le comte de Ségur et le vicomte de Noailles la donnèrent. La conformité de leurs sentimens, de leurs opinions, de leurs désirs, ne