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MM. d’Havre, de Guéméné, de Durfort, de Coigny, les deux Dillon, les deux Ségur, la comtesse Auguste d’Aremberg, la duchesse de Fronsac, belle-fille du maréchal de Richelieu. Cette société tenait d’abord ses assises à Versailles ; elle prit ensuite ses rendez-vous près des Porcherons, dans l’auberge A l’Épée de bois, qui donna son nom à la société elle-même. Elle y venait déjeuner et souper.

La nécessité de faire des répétitions, avant d’exécuter des ballets devant Marie-Antoinette, avait donné à cette folle jeunesse, heureuse de vivre, un libre et fréquent accès chez la reine et dans les appartemens des princes. La Fayette y vit de très près le comte d’Artois. Il était admis dans les quadrilles arrangés à Trianon. Il n’était pas élégant danseur, et la reine, qui devait ne jamais l’aimer, ne le trouvait pas déjà à son gré.

Quoiqu’il eût plus d’esprit que son beau-frère, le vicomte de Noailles, il était loin d’avoir sa grâce : « Mais aussi il ne possédait pas comme lui la malheureuse passion de vouloir toujours se signaler dans tout ce qui produisait de l’effet. » — Ainsi, depuis que le duc d’Orléans avait introduit à Monceau les habitudes anglaises, on buvait beaucoup dans le grand monde; et le jeune vicomte de Noailles passait pour un buveur émérite, pouvant tenir tête aux seigneurs anglais qui venaient sur le continent. Un jour, dans un dîner auquel il n’assistait pas, mais dont le comte de La Marck faisait partie, La Fayette (n’oublions pas qu’il avait à peine dix-sept ans) avait bu plus de Champagne qu’à l’ordinaire, et, comme il était indisposé, il fallut le mettre dans sa voiture et le ramener chez lui. Pendant le trajet, il répétait à ceux qui l’entouraient ce mot d’enfant : — « N’oubliez pas de dire à Noailles combien j’ai bu! » — C’est à peu près tout ce que le comte de La Marck, qui n’est pas bienveillant pour La Fayette et que nous retrouverons plus tard, a pu raconter de lui dans ces années si renommées pour la douceur de vivre.

Au milieu des soupers et des bals, la politique osa pénétrer en riant. Le rappel des parlemens occupait alors les esprits. La société de l’Épée de bois s’avisa de parodier les séances de ces graves assemblées. Le comte d’Artois jouait le rôle de premier président; et, ce qui peut sembler assez piquant, La Fayette, dans une de ces joyeuses audiences, remplit les fonctions de procureur-général.

Le mécontentement que l’intimité, accordée par les princes à quelques jeunes gentilshommes, inspirait aux représentans de la vieille cour, éclata brusquement. On prit prétexte d’une étourderie et l’on fit sentir à M. de Maurepas l’inconvénient de laisser les princes entourés de légers courtisans qui s’étaient permis de tourner en dérision la haute magistrature. Brid’oison n’était pas loin. — Pour détourner l’orage, le comte de Ségur, un des grands