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ans, pour compléter son éducation d’officier, il passa, comme tous les jeunes gentilshommes, une année à l’académie de Versailles.

Ceux qui l’ont connu dans son adolescence, le comte de La Marck, le comte de Ségur, le représentent comme un peu gauche, un peu embarrassé de sa personne, fuyant le monde, sérieux, d’un excellent caractère, d’une grande bonté et d’une bravoure à toute épreuve. Sa taille était très élevée, ses cheveux roux. Il recherchait néanmoins avec soin ce qu’on appelait alors le bon air, mais il montait mal à cheval; et, à cause de sa taille, il dansait sans grâce. Les jeunes nobles avec lesquels il vivait se montraient plus adroits que lui aux exercices alors à la mode, au jeu de paume ; mais tous l’aimaient. Comme le jeune La Fayette avait la libre disposition de ses revenus, « il avait beaucoup de chevaux et les prêtait avec obligeance à ses amis. »

Il avait quatorze ans à peine, et l’on s’occupait déjà à le marier ; celle qu’on lui choisissait était l’une des petites-filles de la maison de Noailles, Adrienne d’Ayen.

M. le duc d’Ayen, fils aîné du dernier maréchal de Noailles, avait cinq filles qu’on appelait, avant leur mariage : Louise, Mlle de Noailles; Adrienne, Mlle d’Ayen; Clotilde, Mlle d’Épernon; Pauline. Mlle de Maintenon ; et Rosalie, Mlle de Montclar. Leur mère, née d’Aguesseau, était la petite-fille du chancelier.

Il était impossible de rencontrer plus de contrastes entre les deux époux. Le duc d’Ayen était partout ailleurs que dans son ménage. Occupé à la fois de chimie et des nouveaux opéras, de philosophie et des affaires de cour, il parlait de tout cela légèrement, mais avec grâce, comme des seules choses importantes ici-bas. La duchesse d’Ayen, au contraire, élevée d’abord au couvent, puis dans la maison de son père, « non moins grave et non moins réglée qu’un couvent, » n’aimait que la retraite et portait dans sa piété quelque chose de l’austérité janséniste. Elle surveillait elle-même l’éducation de ses filles[1].

C’est toujours un problème que de savoir comment avait été élevée cette admirable génération de grandes dames qui surent si bien monter sur l’échafaud. Nous trouvons dans deux documens d’une valeur morale inappréciable, la vie de Mme d’Ayen et la vie de Mme de La Fayette, la réponse à cette question : Comment furent élevées les femmes les plus parfaites qui aient vécu à la fin du XVIIIe siècle ?

Il n’y avait rien d’absolu dans la manière d’éduquer, de corriger

  1. Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck, introduction. — Vie de la duchesse d’Ayen, par Mme de La Fayette. Mémoires de la marquise de Montagu.