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hache du roi, » de même qu’il aurait été, d’un cœur également impassible, s’il avait vécu à l’époque des Saint-Just et des Fouquier-Tinville, « la hache de la Convention. »

Ses qualités d’homme d’action, il les avait affirmées avant 1307. On peut croire que, dès 1303, il inspira l’idée de chasser hors du royaume de France tous ceux, clercs ou laïques, qui ne voulurent pas adhérer à son manifeste contre Boniface. Il avait mené à l’assaut du palais papal d’Anagni les bandes sauvages de la Romagne. Enfin, dans l’été de 1306, il s’acquitta d’une mission qui le rompit aux grandes saisies ou confiscations arbitraires, et qui lui suggéra certainement le thème de sa procédure ultérieure contre les templiers. — Cette année-là, le roi, épuisé par les frais de la guerre flamande et de la guerre anglaise, était très pauvre ; c’était l’état normal des trésors royaux de France et d’Angleterre d’être vides depuis le commencement de ces hostilités ruineuses qui ont paralysé l’évolution des deux pays pendant cent cinquante ans. Philippe, dès 1291, avait fait arrêter, puis relâcher, après en avoir tiré de fortes sommes, les banquiers lombards établis en France, sous prétexte qu’ils contrevenaient aux ordonnances contre l’usure. En 1306, il lui parut bon d’exprimer de l’argent des juifs; il confia ce soin à trois commissaires, dont Guillaume de Nogaret fut le chef. La commission est du 21 juin ; elle resta secrète pendant un mois, que Nogaret employa à d’occultes préparatifs. Mais le 22 juillet éclata un coup de théâtre : tous les juifs furent arrêtés simultanément et à l’improviste d’un bout à l’autre du territoire. Il n’en échappa pas un seul. L’affaire avait été menée avec une prudence et une énergie consommées, bien faites pour inviter le roi et son ministre à de nouvelles et plus fructueuses spoliations.

La confiscation des biens du Temple, en 1307, fut, au fond, de même nature que celle des biens des juifs en 1306; l’une et l’autre eurent la même cause : la pénurie des finances royales. Mais l’action contre le Temple était inouïe, tandis que la juiverie était soumise de longue date à l’arbitraire. Les templiers étaient des soldats protégés par l’immunité ecclésiastique, armés des deux glaives : le spirituel et le temporel; contre eux la violence toute pure n’aurait pas suffi, il fallait inventer des artifices juridiques, esquisser des apparences de légalité. On osa néanmoins entreprendre de dépouiller les banques du Temple comme on avait dépouillé les banques juives et lombardes. Mais, pour promouvoir et pour mener à bien cette entreprise, Guillaume de Nogaret était sans contredit le ministre désigné, car il avait déployé, en 1303, les ressources d’une diplomatie très efficace, et il avait montré, en 1306, la ténacité de sa poigne.