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soit! mais du moins doit-on s’entourer de toutes les conditions de décence et de convenance propres à la rendre moins intolérable. Dans un temps où l’on pousse jusqu’aux dernières limites la sollicitude pour les assassins et les criminels qui encombrent nos prisons, c’est bien le moins qu’on pense un peu à leurs victimes et à tous ceux qui sont frappés autour d’elles.

La question de la Morgue est posée depuis dix ans devant l’opinion publique. En 1881, déjà M. George Berry obtenait du conseil général de la Seine une résolution invitant le préfet à étudier d’urgence les réformes qui s’imposaient; en 1882, M. Brouardel déposait un plan complet dont le premier avantage était de supprimer jusqu’au nom sinistre de la Morgue actuelle et de le remplacer par celui de l’Institut médico-légal; tout dernièrement M. Alpy[1], reprenant pour son compte la question, déposait un nouveau projet. C’est dire que rien n’a été fait depuis dix ans, et qu’une réforme reconnue urgente en 1881 l’est encore en 1891.

Le projet de M. Brouardel, déposé depuis huit ans, a pour lui un avantage incontestable : c’est l’unité d’un plan mûrement réfléchi, élaboré en toute connaissance de cause par l’homme qui était le mieux à même de savoir ce qu’il y avait à faire. Malheureusement, ce projet, qui comporte la construction d’un nouvel établissement avec disparition de la Morgue actuelle, a l’inconvénient d’exiger une dépense évaluée à 3 millions. C’est là, il faut le dire, la raison principale, sinon de son échec définitif, au moins du retard apporté à son adoption.

Voici en quoi il consiste :

On utiliserait, pour la construction du nouvel institut médico-légal, un vaste terrain de forme triangulaire, occupé autrefois par les écuries de l’archevêché et qui présente son angle à l’entrée du pont Saint-Louis. La pointe du terrain serait réservée à la salle d’exposition et à l’entrée publique de la Morgue. Immédiatement en arrière s’ouvrirait une vaste cour intérieure avec un dégagement qui serait pratiqué sur une ruelle ouverte entre le coude de la rue du Cloître-Notre-Dame et le Quai-aux-Fleurs. Sur la cour, s’élèveraient deux ailes de bâtiment qui ne comporteraient qu’un seul étage, en vue surtout de ne rien gâter aux abords de la cathédrale. Tous les services actuels de la Morgue trouveraient place dans les sous-sols et dans le rez-de-chaussée; il y aurait une salle réservée pour les familles qui viennent reconnaître un cadavre, un dépôt mortuaire pour les corps déjà reconnus, une salle d’attente pour les familles qui attendent un convoi, un cabinet

  1. Séance du conseil général de la Seine du 1er décembre 1890.